L’exposition à la chlordécone est associée à une augmentation de la difficulté à concevoir un enfant, matérialisée par un allongement du délai nécessaire pour obtenir une naissance vivante. Les chercheurs de l’Inserm rattachés à l’université de Rennes et à l’Ecole des Hautes Études en santé publique sont parvenus à cette conclusion grâce aux données collectées entre novembre 2004 et décembre 2007 auprès de 668 femmes enceintes vivant en Guadeloupe depuis au moins 3 ans, issues de la cohorte mère-enfant Timoun.
Ces résultats sont cohérents avec ceux déjà obtenus chez l’animal, qui décrivaient déjà des effets néfastes sur la grossesse. La chlordécone a été utilisée dans les Antilles françaises jusqu’en 1993, mais sa forte capacité à persister dans l’environnement en fait toujours une source de pollution pour les populations locales avec de surcroît une demi-vie estimée dans le sang comprise entre 95 et 196 jours.
Les femmes, suivies au CHU de Guadeloupe et dans les centres hospitaliers de Basse-Terre et de Pointe-à-Pitre, étaient soumises à un interrogatoire lors des consultations du deuxième et du troisième trimestre de grossesse. Les participantes devaient donner, en mois, le temps écoulé entre la première tentative de conception (date d’arrêt de la contraception) et la confirmation de la grossesse. Dans le même temps, l’exposition à la chlordécone était mesurée via des prélèvements sanguins au moment de l’accouchement. La chlordécone était présente chez 91 % de la population étudiée, avec une concentration médiane de 0,3 µg/L. Les femmes ont été classées en quatre quartiles de concentration, dont les deux quartiles les plus exposés étaient caractérisés respectivement par des concentrations supérieures à 0,38 µg/l et comprises entre 0,38 µg/l et 0,81 µg/l.
Selon les données publiées dans la revue Environnemental Health, les femmes avaient mis en moyenne 4 mois à être enceinte, et 19 % d’entre elles ont mis plus d’un an. Certains facteurs comme le statut marital avaient une influence et ont été pris en compte dans l’analyse finale. Les femmes appartenant aux deux quartiles les plus exposés avaient une durée de conception significativement rallongée. Par ailleurs, les chances de parvenir à une naissance vivante au cours d’un cycle menstruel étaient réduites d’environ un quart chez les femmes les plus exposées (entre 24 et 28 % pour les deux derniers quartiles). Les chercheurs constatent une relation dose-dépendante entre la présence de la chlordécone dans le sang et les différents marqueurs de fertilité.
Une hypothèse qui reste néanmoins à confirmer
Les auteurs reconnaissent une lacune à leur travail : l’absence de mesure de l’exposition des conjoints qui aurait permis un tableau plus complet de la situation de chaque couple, et possiblement d’évaluer les effets respectifs de l’exposition à la chlordécone chez les hommes et les femmes des couples ayant un projet d’enfant. « Cependant, des études précédentes en Guadeloupe chez les hommes, à des niveaux d’exposition similaires à ceux des femmes, n’avaient montré aucun effet sur la qualité du sperme ni sur les hormones de la reproduction, explique le Dr Luc Multigner, directeur de recherche à l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset). Chez des animaux de laboratoire, la chlordécone a déjà été associée à une diminution de la fertilité des femelles. À la lumière de ces travaux, notre étude soutient l’hypothèse selon laquelle ce pesticide pourrait altérer la fertilité des femmes. »
Pour autant, l’étude ne va pas jusqu’à affirmer l’existence d’un lien de cause à effet entre la chlordécone et l’infertilité maternelle, dont les auteurs rappellent le caractère fortement multifactoriel. L’étude Karu-Fertil, toujours en cours, permettra de mieux préciser les liens entre l’exposition au pesticide et l’infertilité féminine. « En attendant, les résultats que nous venons de publier soutiennent déjà la nécessité de poursuivre les efforts en matière de santé publique visant à réduire l’exposition à la chlordécone, en particulier chez les femmes en âge de procréer », conclut le Pr Ronan Garlantézec, chercheur à l’Irset et co-auteur de l’étude.
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