Comment aller plus vite dans la prise en charge de l'accident vasculaire cérébral (AVC), alors que chaque minute compte pour épargner le cerveau ? Ce fut le thème d'une session du congrès eNeuroVasc organisé par l'hôpital Fondation Rothschild au cours de laquelle ont été présentées des approches très différentes.
Les Mobile Stroke Units (MSU), ces unités neurovasculaires mobiles, sont expérimentées depuis une dizaine d'années. L'étude Asphalt, portée par le GHU Paris à l'hôpital Sainte-Anne, en chantier depuis 2013 et moquée de jouer l'arlésienne, devrait débuter cette année. « On me demande souvent "Alors, c'est pour quand le camion ?", répond le Pr Guillaume Turc, coordinateur d'Asphalt avec le Pr Benoît Vivien du Samu de Paris. Le projet sort du cadre habituel, le retard est lié aux autorisations réglementaires. » Le camion devrait être livré en mai, et l'essai lancé début septembre, annonce le chercheur.
L'idée des MSU est d'avoir une ambulance équipée d'un scanner, d'une solution de télémédecine et d'un laboratoire embarqué afin de réaliser la thrombolyse directement sur les lieux de l'AVC. « Deux études publiées en 2021, l'une berlinoise (1) et l'autre brésilienne (2), apportent pour la première fois des éléments sur le score fonctionnel avec le Rankin en aveugle à trois mois », rapporte le neurologue.
« Dans l'étude B_Proud à Berlin, un patient est complètement indépendant tous les 12 patients traités, et dans la brésilienne, c'est tous les 10 patients, ajoute-t-il. C'est un effet fort. En comparaison, pour la thrombolyse, le nombre de patients à traiter est de 8, pour la thrombectomie, il est de 5. »
Unités mobiles, quel ratio coût/utilité ?
De plus, une méta-analyse (3) dirigée par le Pr Turc montre une réduction du délai symptômes-thrombolyse en médiane de 30 minutes avec les MSU, mais aussi une augmentation d'un facteur 7 de la proportion de patients thrombolysés dans l'heure suivant l'apparition des symptômes.
Ce type de prise en charge a-t-elle un sens à l'heure de la thrombectomie ? Le jeu en vaut-il la chandelle, alors que le coût de maintenance est estimé entre 100 000 et 1 million d'euros par an et qu'il faudrait environ une unité par million d'habitants ? « Je suis contacté par des équipes en province qui veulent s'y mettre. Mais avant d'envisager un déploiement plus large, une analyse médico-économique est nécessaire, tempère le Pr Turc. Et c'est bien l'objectif de l'étude Asphalt, dont le critère de jugement principal est le ratio coût/utilité fondée sur le score de Rankin à trois mois. » Cet essai randomisé prévoit d'inclure durant trois ans 450 patients avec infarctus cérébral confirmé. Dans le camion, l'équipe sera composée d'un médecin urgentiste, d'un chauffeur et d'un manipulateur radio.
Une appli pour synchroniser les équipes
À l'hôpital Foch, l'équipe du Dr Bertrand Lapergue fait de son côté le pari de l'appli Alert'AVC. Créée il y a deux ans, elle est déployée depuis 2021. « On est capable de savoir quand arrive un colis, mais pas quand arrive la victime, explique le chef de service. En neurovasculaire, on passe son temps à s'appeler et on manque de synchronisation, même dans un parcours "mothership" où l'on pense que ça va très vite. L'appli permet de connaître les délais d'arrivée en temps réel et d'informer tous les intervenants en même temps. »
La phase de test menée dans l'Ouest parisien pour les transferts secondaires pour thrombectomie est terminée. « On est en train de la déployer pour les transferts primaires et d'intégrer cette brique auprès des sapeurs-pompiers (SDIS) et des ambulances d'Île-de-France, de Nantes, de Tours, de Pointe-à-Pitre et d'Occitanie », précise le Dr Lapergue. Le gain de temps obtenu avec l'appli sera évalué dans une étude avant/après grâce au réseau Etis.
Adressage direct ou non en centre de référence
La prise en charge « mothership » est-elle plus efficiente que la « drip and ship » ? C'est à cette question que doit répondre Presto-F, une étude médico-économique nationale randomisée, en double aveugle. Financée à hauteur de 1,5 million d'euros par la Direction générale de l'offre de soins (DGOS), cette étude prévoit la participation de 8 régions (Île-de-France exclue pour ne pas interférer avec Asphalt), 52 Samu, 20 centres de neuroradiologie interventionnelle (NRI), 45 unités neurovasculaires (UNV) de proximité, plus de 500 investigateurs et 800 patients (400 dans chaque bras).
Pour être inclus, le patient doit présenter des symptômes évocateurs d'un AVC sévère, définis par une paralysie sévère d'un hémicorps. L'heure de début des symptômes doit être connue, et le délai d'acheminement vers le centre NRI au moins égal au délai d'acheminement vers un centre local. « Le score Race doit être égal ou supérieur à cinq (score reflétant la probabilité d'un AVC avec occlusion proximale, NDLR) à l'arrivée des secours », insiste le Dr Richard Macrez, urgentiste à Caen et co-investigateur.
L'étude lancée en 2017 comprend aujourd'hui cinq régions avec tous les centres ouverts, deux en cours d'ouverture et un non-ouvert (Nouvelle-Aquitaine). « Seulement 25 patients sont inclus, rapporte le Dr Macrez. On est très inquiets de ce faible nombre, mais on est arrivés en même temps que la pandémie. Les Samu avaient autre chose à faire que randomiser les patients. »
Autre ombre au tableau : l'étude espagnole Racecat, qui a inclus 1 401 patients en Catalogne, ne retrouve pas de différence entre les deux prises en charge sur le critère de jugement principal, le Rankin 0-2 à trois mois. « On est un peu déçu dans l'équipe Presto », reconnaît l'urgentiste, qui ne baisse pas les bras pour autant. « Il faut faire quand même ces études sur le territoire, les prises en charge préhospitalières sont un peu différentes », fait-il valoir.
Des biomarqueurs au chevet du patient
Les biomarqueurs préhospitaliers pourraient permettre d'améliorer le triage préhospitalier entre AVC avec occlusion d'un gros vaisseau (LVO pour Large Vessel Occlusion), AVC non LVO, AVC hémorragiques ou les « mimics » (épilepsie, migraine, troubles fonctionnels).
« Dans l'AVC, un biomarqueur peut être unique ou utilisé en association avec plusieurs, indique la Pr Virginie Siguret du service d'hématologie biologique de l'hôpital Lariboisière (AP-HP). Nous souhaitons les associer au score clinique et à l'imagerie. »
Avant de l'utiliser en pratique, le chemin est très long, rappelle-t-elle, « entre l'identification des biomarqueurs, la conception par l'industriel, le développement avec marquage CE et la validation en clinique ».
Dans une revue de la littérature totalisant 4 500 articles, seulement deux essais sont en cours et les résultats ne sont « qu'en partie connus seulement pour l'un des deux pour diagnostiquer les AVC ischémiques et les distinguer des hémorragiques et des mimics », souligne la spécialiste des tests diagnostiques.
L'une d'elles, une étude finlandaise (4), a montré que la GFAP (Glial Fibrillary Acidic Protein, protéine acide fibrillaire gliale) était significativement plus élevée dans les AVC hémorragiques ; l'autre menée par des Barcelonais, l'étude Stroke-Chip (5), suggère que la concentration en D-dimères est un marqueur prédictif indépendant de LVO.
Le projet de recherche hospitalo-universitaire en santé (RHU) Booster, et plus spécifiquement Boost coordonné par le Pr Mikael Mazighi de l'Hôpital Fondation Rothschild, a pour objectif principal de valider un panel de biomarqueurs sanguins « afin d'identifier, parmi les patients suspects d'AVC, ceux ayant un AVC ischémique », explique la Pr Siguret. Cette étude réalisée dans quatre centres (hôpital Foch, CHU de Caen, Hôpital Fondation Rothschild, Lariboisière) doit comprendre 4 000 patients sur quatre ans.
(1) Ebinger et al, Jama, 2021. doi:10.1001/jama.2020.26345
(2) J. Grotta et al, NEJM, 2021. DOI: 10.1056/NEJMoa2103879
(3) G. Turc et al, Jama Neurology, février 2022. doi:10.1001/jamaneurol.2021.5321
(4) Mattila et al, Clin Chemistry, 2021. doi.org/10.1093/clinchem/hvab128
(5) Ramos-Pachon et al, Stroke, 2021. doi.org/10.1161/STROKEAHA.120.031657
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024