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Dossier

Développement neuro-sensoriel

Les écrans rendent-ils les enfants accros ?

Publié le 08/02/2013

Les écrans sont les reflets d’un changement culturel durable. Mais, accusés de tous les maux, sont-ils si dangereux pour nos enfants ? Sans dogmatisme, les experts psychiatres viennent de proposer des règles de comportement variables selon les âges. Mieux vaut accompagner les enfants et réguler leur temps devant leurs écrans que les diaboliser.

Après un rapport remis récemment à l’Académie des Sciences*, le Dr Serge Tisseron (psychiatre et psychanaliste, directeur de recherche à l’université Paris-Ouest) a jeté un pavé dans la mare : « On n’a pas le droit de parler de cyberaddiction, elle ne remplit pas les critères définis de l’addiction et on ne peut pas faire entrer dans ce cadre la conduite de consommation excessive d’écran », a-t-il souligné lors du congrès de l’Encéphale (Paris, 23-25 janvier 2013). Aucune étude ne permet pourtant à ce jour d’affirmer qu’elle existe, notamment pour ce qui concerne les adolescents. S’il ne nie pas le risque d’usage excessif des écrans, il estime qu’un bon accompagnement des parents peut éviter « la dérive dans la solitude ». De fait, de récentes études épidémiologiques relèvent que, dès le plus jeune âge, les jeux conventionnels sont remplacés par les écrans d’ordinateur ou les jeux vidéo sur consoles. L’étude européenne (European kids online report) montre que l’âge du premier contact avec Internet est de plus en plus précoce, 6 ans pour l’étude 2006-2010. « Il y a de nombreuses conséquences négatives comme les abus d’utilisation ou l’addiction aux jeux », a indiqué le Christopher Goepel (Luxembourg) qui, lui, n’hésite pas à utiliser ce terme d’addiction. L’étude allemande de F. Rehbein publiée en 2010 a relevé que 3 % des garçons et 0,3 % des filles sont considérés comme dépendants. Les garçons sont plutôt des adeptes des jeux vidéo souvent très violents tandis que les filles sont plus accros aux smartphones et aux réseaux sociaux type Facebook. Une autre étude faite entre octobre 2011 et mai 2012 montre qu’un comportement anormal à l’Internet appelé « dysfunctiunal Internet behaviour » touche 13 % des jeunes qui sont considérés à risque de dépendance alors que 1,2 % sont qualifiés de vraiment dépendants.

Les facteurs de risque de dépendance aux écrans sont l’anxiété scolaire, de moins bonnes compétences sociales, un sentiment d’échec dans les activités extra-scolaires et l’impulsivité. Les conséquences sont des problèmes d’attention, une agressivité et de moins bonnes compétences sociales. Cet excès peut être temporaire mais peut aussi durer plus longtemps. Chez les joueurs « hardcore » qui jouent 10 à 15 heures par jour, le phénomène est durable dans 84 % des cas au-delà de deux ans avec un risque augmenté de dépression, d’anxiété chronique et de retrait social. Mais, pour la grande majorité des ados, le phénomène de dépendance aux écrans est passager lors de l’adolescence avant d’évoluer vers d’autres activités plus socialisantes.

Un accro par classe

Les premiers signes inquiétants sont une baisse des résultats scolaires, un changement du rythme nycthéméral, « la tête qui tombe en plein cours de maths », un désintérêt pour toute autre activité et des répercussions sur la vie quotidienne. Certains ados décrivent des symptômes de manque comme l’agitation, l’agressivité ou la peur s’ils se retrouvent privés d’écran. Une thèse de médecine faite dans le Pas- de-Calais sur 1600 ados recrutés par 200 médecins généralistes montre que 4,3 % sont des

cyberaddicts dont le violon d’Ingres provoque des interférences dans la vie quotidienne. « C’est plus d’un

enfant par classe en incluant les smartphones », a expliqué le Dr Frédéric Kochman (Lille).

Cette cyberdépendance est liée dans 44 % à des troubles anxieux. Cause ou conséquence ? « Il y a les deux », souligne le spécialiste qui explique que tout enfant ne devient pas accro aux écrans et qu’il existe probablement des prédispositions comme l’anxiété ou le retrait social. En allant plus loin sur le plan sociétal, le Dr Kochman a expliqué que la société de consommation se révèle complice puisqu’elle a tendance à favoriser le système limbique en développant l’impulsion, l’égoïsme qui servent la finalité de la compulsion d’achats et les industriels ont tendance à se défausser en proposant des contenus à la violence incroyable.

du tabac. Là, ce sont les parents qui sont stigmatisés, les?industriels de la vidéo prétendent que ce sont les parents qui les ont mal éduqués », a indiqué le Dr Kochman.

Ambivalence sur le cerveau

Les jeux vidéo ne sont pas anodins sur le fonctionnement cérébral. « N’oublions pas que le cerveau finit de se myéliniser à 25 ans », a encore précisé le spécialiste. Des études de neurologie fonctionnelle montrent que dès les trente premières minutes d’un jeu vidéo il y a une diminution de l’activité des zones frontales et un système limbique en pleine ébullition. Or c’est ce système archaïque de l’émotion qui est sollicité par la peur, le sang et la violence.

« Quand on se sent en danger, il est vital de penser au pire et de devenir impulsif », note le Dr Kochman pour expliquer les conséquences comportementales d’une hyperactivité du cerveau limbique. Plusieurs travaux accusent les jeux vidéo. Ainsi, une méta-analyse de 136 études sur plus de 130 000 joueurs conclut que « les jeux video violents entraînent agressivité, désensibilisation empathique, émotion agressive avec absence de remords ». Mais tout le monde n’est pas de cet avis. Daphné Bavelier (professeur de neurosciences cognitives à l’université de Genève et à l’université de Rochester), spécialiste des relations entre jeux vidéo et fonctionnement cérébral) a montré que les « first person shooter » ont une meilleure concentration, une attention accrue et une prise de décision rapide. D’ailleurs des entreprises ou des hôpitaux utilisent des « serious game », dans leurs formations, ce qui prouve que la réalité virtuelle a une valeur ajoutée. Il faut aussi souligner que des psychothérapies, notamment dans les phobies, font appel à des univers virtuels.

L’autorégulation

Pour Serge Tisseron, il faut inciter à l’autorégulation comme conclure un contrat avec l’enfant qui s’engage à ne pas jouer plus d’une certaine durée pendant le week-end avec, en contrepartie, une fermeture de la télé pour les parents. Côté jeux, il faut orienter les enfants vers des jeux plus constructifs que violents à l’image de Minecraft qui consiste à créer des univers. « Les parents devraient valoriser les pratiques numériques créatives et socialisantes », a souligné le Dr Tisseron. Car les ados qui jouent au jeu vidéo ne sont pas d’horribles égoïstes : « Ils sont malgré tout dans l’entraide et nombreux sont ceux qui font des tutorials sur Internet pour aider à résoudre des problèmes », a indiqué le Dr Kochman. Il faut donc inciter les enfants à davantage développer ces capacités d’empathie et de compassion. Les adultes doivent aussi encourager à l’alternance en proposant des activités qui font travailler un autre type d’intelligence.

Comme l’a expliqué Serge Tisseron, la culture du numérique représente une vraie révolution et ne doit surtout pas être opposée à la culture du livre de la génération précédente. Les deux types de culture font intervenir des intelligences distinctes. Le jeu vidéo fait appel à l’intelligence spatialisée alors que les livres nécessitent de suivre une trame narrative. Savoir panacher les activités serait la meilleure des solutions.

(*) L'enfant et les écrans, Un Avis de l’Académie des sciences, parJean-François Bach, Olivier Houdé, Pierre Léna et Serge Tisseron. Éditions Le Pommier, Janvier 2013.

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