Malgré les progrès indiscutables de la thrombectomie dans la prise en charge de l’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique, environ 50 % des patients restent gravement handicapés après l’intervention. Est-il bénéfique de faire baisser la tension artérielle (TA) de façon intensive afin de limiter les hémorragies de reperfusion, comme de nombreuses équipes le font empiriquement en clinique ? L’étude BP-Target, la première randomisée sur le sujet et menée dans quatre centres français, répond par la négative dans « The Lancet Neurology ».
« Les recommandations internationales dans la thrombectomie sont calquées sur celles émises pour la thrombolyse, explique le Pr Mikael Mazighi, neurologue à l’hôpital Fondation Rothschild à Paris et premier auteur de l’étude. Il est ainsi préconisé que la TA systolique ne doit pas dépasser 180 mmHg après la thrombectomie. Comme le geste de thrombectomie permet de visualiser en temps réel la réouverture de l’artère par rapport à la thrombolyse, celui-ci guide le contrôle tensionnel avec le maintien d’une TA élevée tant que l’occlusion persiste. Après obtention de la reperfusion, beaucoup de praticiens ont tendance de façon empirique à la faire baisser drastiquement dans l’espoir de faire diminuer le risque hémorragique, fréquent après thrombectomie ».
Un marqueur de gravité
L’étude, qui a inclus 324 patients ayant été traités avec succès par traitement endovasculaire entre juin 2017 et septembre 2019, en a randomisé la moitié dans un groupe à cible intensive (TA systolique comprise entre 100 et 129 mmHg) et l’autre dans un groupe standard (130-185 mmHg). L’objectif principal était d’évaluer la survenue d’une hémorragie cérébrale dans les 24 à 36 heures post-thrombectomie : aucune différence significative n’a été mise en évidence entre les deux groupes. La mortalité à trois mois était plus faible dans le groupe cible standard (n = 7,4 %) que dans celui cible intensive (n = 11,7 %). « Ces résultats tranchent avec les études observationnelles antérieures », souligne le neurologue parisien.
Le contrôle optimal tensionnel se révèle plus complexe que prévu. « La TA élevée après thrombectomie serait davantage un marqueur de gravité qu’un paramètre sur lequel agir, explique-t-il. Car après la réouverture de l’artère, il est physiologique que la TA baisse spontanément. Comme dans la maladie coronaire, il semble qu’il existe une courbe en "U" pour la relation entre la TA systolique et la mortalité : les TA basses et élevées sont associées à une surmortalité ».
Individualiser la cible
La question est désormais de savoir où se trouve le juste milieu, probablement autour de 140-150 mmHg, estime le Pr Mazighi. Des études de validation de ces cibles sont en cours avec évaluation du pronostic fonctionnel à trois mois, mais les résultats ne sont pas attendus avant deux ou trois ans. « Notre étude française est en avance sur les autres, elle pourrait faire évoluer les recommandations, souligne le Pr Mazighi. En pratique, on essaie de ne pas descendre en dessous de 130 mmHg. Mais ce n’est probablement pas une cible pour tous. Traiter un patient jeune sans antécédent, ce n’est pas la même chose qu’un autre plus âgé avec un historique d’hypertension artérielle. Une prise en charge individualisée semble plus pertinente, notamment en limitant les variations tensionnelles à moins de 10 % avant reperfusion ».
Pour une prise en charge individualisée, des paramètres physiologiques pourraient permettre de s’adapter à l’hémodynamique intracrânienne de chaque patient et aider à définir la cible tensionnelle. « Des capteurs cutanés de microcirculation cérébrale sont utilisés en neuro-réanimation, précise le spécialiste. Ces dispositifs reposant sur une technique infrarouge permettent d’évaluer l’hémodynamique intracrânienne. C’est une piste sérieuse qui existe déjà ».
M. Mazighi et al., Lancet Neurol, 2021;20:265-74.
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