Si la sécurité alimentaire a plutôt tendance à s’améliorer, la perception du risque par le public est souvent disproportionnée, tout comme ses réactions.
La dichotomie entre risque perçu et risque réel existe bel et bien, et les peurs sont souvent sans commune mesure avec la réalité : la mortalité liée à l’alimentation a fortement diminué depuis le début du XXe siècle (passant de 20 000 à 50 000 morts par an à moins de 100 aujourd'hui), et pourtant, « les peurs sont disproportionnées », affirme Pascale Hébel, directrice du pôle consommation et entreprises du CREDOC (centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie). « On observe en France une particularité : les émotions, négatives comme positives, s'exacerbent très vite, poursuit-elle. Avec la fraude des lasagnes, on est monté au même niveau de peur qu’avec la vache folle (années 1990, NDLR), alors que la confiance s’était améliorée dans les années 2003-2007, grâce à la mise en place de mesures de traçabilité. Et il est très probable que les salmonelles dans les laits infantiles Lactalis réactivent ces peurs. Ces mouvements sont amplifiés du fait des réseaux sociaux, qui permettent la diffusion des croyances de masse. »
Quand une épidémie due à la contamination de graines germées par Escherichia coli fait plus de 30 morts en Allemagne en 2011, les ventes de concombres (mis en cause avant d'être innocentés) sur le marché français ont chuté de l’ordre de 75 %, et celles d’autres produits frais ont aussi été affectées. Après la fraude de la viande de cheval dans les lasagnes en 2013, il a fallu deux ans pour que Picard retrouve son niveau de vente préalable. « Cette sanction du marché est instantanée et elle concerne le produit, mais aussi l’entreprise, et parfois toute la filière, par contamination économique », signale Éric Giraud-Héraud, économiste et directeur de recherche à l’INRA (Institut national de la recherche agronomique). Si cette sanction « est généralement assez déconnectée de la réalité, cela ne veut pas dire qu’elle est illégitime ».
« Hypertrophie de la problématique sanitaire »
« La distinction entre expertise scientifique (forcément exacte) et perception du risque par le public (forcément biaisée) est cependant à remettre en cause », tempère Jean-Pierre Poulain, professeur de sociologie à l’université Toulouse-Jean Jaurès, et auteur de « Sociologie de l’alimentation » et du « Dictionnaire des cultures alimentaires » chez PUF. « Pour avancer dans la gestion des risques, il faut prendre en compte les inquiétudes du consommateur. Certaines de leurs inquiétudes ne sont pas du domaine de l’expertise et la science ne peut pas y répondre. Elles sont pourtant saines car elles donnent des directions vers lesquelles accentuer la recherche, et font monter des questions éthiques qui ne concernent pas directement la science. »
La répétition des crises alimentaires a poussé certains consommateurs à se diriger vers différents labels (Bio, Label Rouge, produits locaux, production française…) – et donc à dépenser davantage. Mais les certifications sont à double tranchant. « Il y a un décalage entre les croyances et la réalité des faits sur la certification : certains consommateurs pensent ainsi que l’AOP (appellation d’origine contrôlée, NDLR) constitue un engagement à propos de l’environnement », note Éric Giraud-Héraud.
Si l’on se préoccupe davantage de prévention qu’avant, « la peur liée à l’alimentation touche aussi en premier lieu les plus diplômés, les plus urbains, souligne Pascale Hébel. Alors que, concernant les autres catégories de risque, ce sont habituellement les plus fragiles qui sont les plus touchés. Les plus diplômés, avec l’alimentation, ont aussi l’impression qu’ils ont davantage de prise sur le risque. »
Par ailleurs, un glissement a été constaté. « En 2000, la qualité alimentaire était associée au goût, au plaisir, aujourd’hui, elle est associée au Bio », poursuit Pascale Hébel. « Ce glissement est aussi lié aux politiques de santé publique, qui ont moins mis l’accent sur la part gustative. » Jean-Pierre Poulain parle ainsi d’une « hypertrophie de la problématique sanitaire ».
Montée de la « naturalité »
Les crises sanitaires ont aussi entraîné une recherche de la « naturalité » dans l’alimentation, et un détournement des supermarchés, de l’industrialisation. Ainsi, les aliments frais, l’eau du robinet, davantage associés à des produits « naturels » s’affichent en tête des produits jugés sûrs pour l’alimentation humaine, d’après le dernier baromètre de la perception des risques sanitaires, réalisé par le CRÉDOC. Les inquiétudes demeurent voire s’amplifient à propos des aliments transformés, renforcées par les résultats de la dernière étude NutriNet qui suggère une augmentation du risque de cancer avec la consommation d'aliments ultra-transformés.
Mais les fausses croyances se retrouvent là aussi. « Les circuits courts, les AMAP sont associés à la sécurité sanitaire… alors qu’il vaut mieux aller en grande distribution pour répondre à ce critère », s’amuse Éric Giraud-Héraud. La traçabilité est en effet meilleure, et les risques de rupture de chaîne du froid, entre autres règles à respecter, plus faibles.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024