L’historien offre aux études sur l’alimentation une double occasion de mieux comprendre les événements actuels. Tout d’abord, en rappelant leur genèse : certains comportements alimentaires d’aujourd’hui tirent, en effet, leurs raisons de conceptions passées. Mais aussi, en relativisant les craintes concernant notre mode d’alimentation.
Un bon nombre de nos usages alimentaires actuels -classiques ou atypiques- ne peuvent être compris qu’à la lumière de l’histoire. Il suffit, pour cela, de considérer la médecine savante de l’Europe, jusqu’au XVIIIe siècle, où selon l’ancienne diététique, l’alimentation était perçue comme l’une des voies de guérison, au même titre que la pharmacopée et la chirurgie. Les médecins préconisaient alors un régime individualisé, adapté à la saison et au lieu, au sexe, à l’âge et à la condition sociale. « Ainsi, un individu de tempérament mélancolique, c’est-à-dire dominé par la bile noire (froide et sèche) devait plutôt consommer des aliments également classés comme froids et secs (lentilles, viande de porc…). En cas de maladie, il fallait, au contraire compenser l’excès de bile noire par des mets chauds et humides (volaille, vin). Il nous en est resté quelques usages comme celui d’assaisonner le melon (très froid et humide) de mets salés tels que le jambon de parme (pour « assécher » le melon) et de l’accompagner de vin (chaud) », explique Bruno Laurioux, professeur d’histoire médiévale à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
Reconsidérer le risque zéro
L’histoire nous invite également à la réflexion autour de nos appréhensions concernant la qualité des aliments que nous consommons. Et, notamment, à reconsidérer la notion du risque zéro. Exemple frappant : durant l’Ancien Régime, des ethnologues avaient observé que les habitants de Sologne continuaient à consommer du seigle ergoté tout en étant parfaitement conscients des effets néfastes de l’ergot (gangrènes des membres, hallucinations graves). « Les Solognots étaient-ils bêtes, fous ? Rien de tout cela. En période de pénurie, ils procédaient à un arbitrage entre deux risques : celui de mourir de faim et celui de consommer un aliment dont ils savaient qu’il était toxique en mélangeant la farine ergotée à la farine saine (à raison d’un seizième et jusqu’à un douzième, pour la farine ergotée) », affirme Bruno Laurioux. La gestion du risque des Solognots consistait donc à jongler entre deux risques et à limiter au maximum le risque avec la consommation de l’ergot, mais sans le supprimer entièrement.
Hélia Hakimi-Prévot
Exergue sii besoin :
En période de pénurie, ils procédaient à un arbitrage entre deux risques : celui de mourir de faim et celui de consommer un aliment dont ils savaient qu’il était toxique
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