Obésité : soigner sans stigmatiser

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Publié le 21/02/2025
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Le regard de la société n’est pas tendre envers les personnes en situation de surpoids. Celui des soignants ne l’est guère davantage, au point que les personnes concernées sont moins bien soignées.

Une approche multidimensionnelle du patient s’avère essentielle

Une approche multidimensionnelle du patient s’avère essentielle
Crédit photo : GARO/PHANIE

L’idée que la personne en situation d’obésité n’a pas de volonté, qu’elle n’a qu’à manger moins et se bouger davantage est tenace. « Au cinéma, les personnes de forte corpulence n’ont jamais le rôle du héros », souligne le Dr Rudy Caillet (nutritionniste, hôpitaux civils de Colmar). Or, si la perte de poids n'était qu’une affaire de volonté, il suffirait pour les soignants d’accroître la pression sur la personne concernée. Mais les preuves scientifiques démentent cette idée : l’injonction a prouvé son inefficacité.

« Cette stigmatisation est d’autant plus injuste que la maladie obésité est liée à plus de 200 facteurs (biologie, influences sociétales, environnementales, activité individuelle, psychologie, etc.). Les conséquences de la stigmatisation sont majeures, sur le plan social et psychosocial, puisqu’il existe un lien entre pauvreté et obésité. La stigmatisation induit un stress biologique. Elle engendre, aggrave et perpétue l’obésité et entrave l’accès au soin », insiste le Dr Caillet.

Le stigma engendre, aggrave et perpétue l’obésité

Dr Rudy Caillet

Des soignants maltraitants ?

Le Dr Antoine Épin (médecin généraliste, centre spécialisé de l’obésité, Nancy), ancien sage-femme « et donc habitué aux ventres ronds », a réalisé une étude par questionnaire auprès de 1 800 étudiants en médecine de 3e cycle. « 20 % choisissaient, pour décrire les personnes en situation d’obésité, les critères “paresseux”, “faible”, “sans volonté”, tandis que 50 % retenaient “mange trop”, “lent”, “mal proportionné”, “faible maîtrise de lui-même”, “aime la nourriture”, et que 70 % choisissaient “non endurant”, “anxieux”, “non séduisant”. Soit des critères de perception négative, correspondant à ceux qui ont cours dans la population générale. »

Dans une autre enquête (Academic Emergency Medicine, 2021) avec 620 médecins et étudiants interrogés sur leurs confrères vivant avec une obésité, on retrouve encore ces préjugés chez 87 % des participants. Cela allait jusqu’à remettre en question les préconisations d’un confrère spécialiste lorsque ce dernier était lui-même concerné par une obésité !

Pour la population concernée, les conséquences sont directes : « Ces personnes évitent des soins de santé. Elles ont le sentiment que les médecins les jugent et que la qualité des soins qui leur sont prodigués sera inférieure », insiste le Dr Épin. Chez l’enfant, la stigmatisation entraîne en outre une faible estime de soi, une vulnérabilité accrue aux maladies mentales, une altération de l’image corporelle, un désengagement du milieu éducatif, une altération du comportement alimentaire et une réduction de l’activité physique.

Il est ainsi très important de ne pas culpabiliser les enfants à l’égard de leur poids (éviter les mots « gros » ou « obèse ») et au contraire de se placer dans une démarche de protection : « Il est recommandé de demander la permission de discuter du poids avant d’aborder le sujet, de ne pas être dans le jugement, d’aider à comprendre la nature complexe de l’obésité et la responsabilité de l’environnement obésogène actuel, de procéder à une évaluation, y compris psychologique », propose le Dr Épin. L’enfant ainsi soutenu devra être revu régulièrement et en interdisciplinarité.

« Encore faut-il que les soignants se rendent compte de leurs préjugés et travaillent dessus. Il y a moyen d’agir : on le sait, les conférences de sensibilisation à l’obésité réduisent les préjugés. La connaissance permettrait d’amoindrir l’effet de la stigmatisation », indique le nutritionniste.

Sonder et accompagner le patient

« La Haute Autorité de santé propose plusieurs voies d’action, à commencer par une réflexion autour des pratiques éventuellement stigmatisantes par l’équipe, pour y remédier. Analyser le problème ; avancer avec des conseils concrets pour aider le patient ; apprécier sa motivation, ses freins et ses ressources au changement ; accompagner avec une stratégie en plusieurs étapes pour avancer progressivement et des réévaluations pour maintenir ces changements dans la durée, c’est important », explique la Dr Diane Ruillier (nutritionniste, Strasbourg). L’idée selon laquelle le poids dépend uniquement de la balance entre calories avalées et calories dépensées est réductrice et ne prend pas en compte les facteurs environnementaux, le microbiote, le métabolisme adaptatif, etc. Elle est néfaste car elle met une pression forte sur l’idée que c’est une question de volonté. Il faut plutôt aller vers une approche multidimensionnelle qui prenne en compte le patient dans sa globalité, incluant les facteurs culturels, familiaux, génétiques, environnementaux ou psychologiques.

« Le discours doit changer et ne plus être : “marchez 30 minutes par jour, bougez-vous, buvez de l’eau, vous mangez trop” mais plutôt : “je vous écoute, quel est votre principal défi, comment puis-je vous aider ?” Il y a urgence car la prévalence de l’obésité a doublé depuis 1997 et ne cesse d’augmenter. Les plus de 65 ans sont particulièrement concernés, avec une prévalence de 20 %. Et 2,6 % des de 55-64 ans ont une IMC > 40 : il est impératif de s’organiser sur le territoire pour accueillir ces patients comme il se doit », conclut la Dr Ruillier.


Source : Le Quotidien du Médecin