De janvier à mai 2022, la faculté de médecine de Sorbonne Université accueillera le tout premier diplôme universitaire (DU) français dédié aux alimentations végétariennes. D’une durée de 70 heures, celui-ci permettra à une quarantaine de professionnels de santé d’acquérir les connaissances nécessaires à la prise en charge des personnes végétariennes et végétaliennes.
« C’est une excellente nouvelle, se réjouit le Dr Loïc Blanchet-Mazuel, médecin généraliste et membre du conseil scientifique de l’Observatoire national de l’alimentation végétale (Onav). Pour les professionnels de santé, c’est une opportunité de se former sur un sujet d’actualité et d’intérêt croissant dans la population. Pour les patients, c’est l’espoir d’un meilleur accompagnement, dans le respect de leurs choix alimentaires. »
« Le besoin d’information est évident du côté d’une communauté grandissante de personnes suivant ces régimes, confirme le Dr Nathanaël Lapidus, maître de conférences spécialisé en santé publique, coresponsable de la formation avec le Pr Olivier Steichen, interniste à l’hôpital Tenon (AP-HP). Cette demande se traduit par une pression sur les professionnels de santé, dont une partie dit ne pas se sentir suffisamment formée sur ces questions. »
Sites Végéclic et de l’Onav
Les médecins désireux d’en savoir plus sur les régimes végétariens n’avaient jusqu’ici, en effet, pas grand-chose à disposition. « Les médecins ont les connaissances de la population générale en ce qui concerne le végétarisme, déplore la Dr Caroline Roth, médecin généraliste en Moselle. Ils ne sont pas en mesure de conseiller les personnes sur ce sujet, puisqu’on ne leur permet pas d’acquérir les savoirs nécessaires au cours de leur formation. Ou alors, il leur faut faire des recherches personnelles, en vérifiant les sources, ce qui est vraiment chronophage. L’arrivée de ce DU va permettre d’améliorer les choses, aux côtés du site médical Végéclic et de l’Onav. »
L’alimentation végétale fait de plus en plus parler d’elle. Quelle est l’ampleur réelle du phénomène ? Un rapport de FranceAgriMer publié en mai dernier indique que 1,1 % de la population française dit ne pas consommer de chair animale, ce qui représente environ 740 000 personnes. De façon plus marquée, une personne sur cinq en Europe dit réduire sa consommation de produits d’origine animale, sans franchir le pas vers un régime végétarien. Or, même dans le cadre d’un tel régime, appelé « flexitarien », il peut être nécessaire de faire attention à certains apports, par exemple en vitamine B12. Des principes nutritionnels qui ne sont pas encore maîtrisés par les professionnels de santé en France.
En plus d’un panorama des résultats épidémiologiques et de recherche clinique sur le végétarisme et le végétalisme, le DU prévoit une sensibilisation au contexte sociologique, historique et psychologique dans lequel s’inscrivent ces régimes. Car au-delà du manque de formation en nutrition subsiste une méconnaissance du végétarisme en tant que phénomène de société.
« Les aspects pragmatiques de prise en charge des patients seront évidemment au cœur de la formation, assure le Dr Lapidus. Mais les professionnels de santé vont avant tout soigner des personnes, avec d’autres dimensions que leur corps et leurs problèmes de santé. Il nous a paru important que les thématiques abordées dans le DU permettent de prendre en charge ces personnes dans leur globalité. »
Les participants pourront ainsi entendre le professeur de littérature française Renan Larue refaire l’histoire des controverses philosophiques et médicales autour du végétarisme depuis l’Antiquité, la généticienne Marie-Claude Marsolier détailler les traits psychologiques associés à la consommation de viande, ou encore l’économiste Romain Espinosa exposer les impacts sociaux de l’alimentation végétale et les motivations des consommateurs. Et il ne s’agit pas seulement d’une question de culture générale.
Accompagner et non moraliser
« Comprendre les motivations de ces personnes est important parce que de là dépend la manière de les prendre en charge, explique le Dr Lapidus. Par exemple, il me semble contre-productif de dire à un patient végétarien ou végétalien ayant des convictions profondes que son régime est dangereux et qu’il devrait en changer. Si en faisant ses recherches par ses propres moyens, il apprend exactement le contraire, la discordance va faire que c’est plutôt la relation médecin-patient qui va en pâtir. Avec toutes les conséquences qu’on peut imaginer. »
Des conséquences que le Dr Sébastien Demange connaît bien, pour en avoir fait le sujet de sa thèse, soutenue en 2017. Une enquête quantitative qui livre des résultats inquiétants : un quart des 1 452 patients végétariens et végétaliens interrogés déclarent cacher leur régime à leur médecin, par anticipation d’une réaction défavorable ou à la suite d’une expérience malheureuse préalable. Près d’un tiers a pensé à changer de médecin à cause de son regard sur leur végétarisme.
« Il y a des risques pour la prise en charge des patients végétariens quand s’installe un non-dit sur leur régime alimentaire, prévient la Dr Roth. Risques, parce qu’ils ne vont pas exprimer certains symptômes de peur d’être jugés, de peur que ce symptôme soit mis tout de suite en relation avec leur régime alimentaire. La relation médecin-patient devrait pourtant être une relation de confiance, qui permet par exemple de parler ouvertement de son régime alimentaire. »
La médecin, qui a soutenu ce 18 novembre une thèse faisant directement écho à celle du Dr Demange, considère cette nouvelle formation comme une première étape. « Le DU est une grande avancée, mais cela va de nouveau être à l’initiative de chaque médecin ou de chaque étudiant de s’inscrire pour pouvoir acquérir des connaissances. La suite, ce serait de sensibiliser sur le sujet pendant la formation obligatoire. »
Une proposition appuyée par le Dr Lapidus : « Il ne s’agit pas de mettre en place 30 heures de cours sur ces régimes-là dans le tronc commun. Mais il y a quelques notions essentielles à connaître. Actuellement, les étudiants en médecine ne sont pas au courant qu’un régime végétalien équilibré ne provoque pas de carences en protéines, ni que les laits végétaux ne sont pas adaptés à l’équilibre alimentaire des jeunes enfants mais qu’il existe des formules infantiles végétaliennes labellisées qui conviennent tout à fait. Ça ne me paraît pas délirant d’introduire ces quelques informations essentielles pour éviter de délivrer des contre-vérités.
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