Il est difficile pour nos médias de trouver le bon équilibre dans le traitement des sujets touchant à l’intelligence artificielle (IA). L’emballement quant à la naissance prochaine d’une IA « forte », c’est-à-dire consciente d’elle-même, est largement exagéré : les chercheurs en IA la jugent irréalisable. À l’inverse, l’IA « faible », qui tente d’imiter des capacités de raisonnement humain dans des tâches spécifiques, ne doit pas être sous-estimée.
Souvenons-nous de la révolution industrielle : les nouvelles sources d’énergie (charbon, pétrole, électricité) avaient permis le développement de nouveaux transports apportant des matières premières en abondance, ensuite transformées par de nouvelles machines spécialisées. L’organisation du travail avait dû s’adapter à ces nouveaux modes de production, certains métiers étant remplacés par de nouvelles machines, alors que d’autres apparaissaient (mécanicien, ingénieur, etc.).
Il est tentant de faire un parallèle avec la révolution numérique : l’informatique a permis de numériser les données, puis de les transporter d’un point à l’autre du globe avec le développement d’internet. Ces données numériques – la matière première – accumulées de façon exponentielle ont peu de valeur en soi : elles nécessitent d’être transformées pour devenir de l’information. Ici interviennent les nouvelles techniques d’apprentissage par la machine (machine learning), qui concurrencent désormais le cerveau humain sur des tâches très spécifiques. Toute la question est désormais de savoir si l’arrivée de l’IA va modifier l’organisation du travail en pédiatrie.
Une alliée pour le diagnostic
L’IA et le pédiatre seront souvent complémentaires. Pour effectuer un diagnostic, les pédiatres expérimentés ont recours à un raisonnement intuitif, qui a l’avantage de parvenir à un diagnostic en un temps record mais avec le risque de ne pas envisager toutes les options. À l’inverse, les programmes d’IA sont systématiques dans leur approche, et dépassent les capacités d’exhaustivité de n’importe quel médecin. Ils deviennent intéressants pour les diagnostics qui ne sont pas « évidents », notamment pour les maladies rares. Ainsi, un programme d’IA diagnostique des maladies génétiques rares à partir d’une simple photographie (1) tandis que d’autres, en développement, ont pour but de suggérer des diagnostics rares en comparant les informations du dossier médical de l’enfant à celles de millions d’autres. De tels programmes sont de nature à améliorer les performances diagnostiques des pédiatres.
Par ailleurs, l’IA n’aime que les tâches répétitives, quand les médecins préfèrent les varier. Interpréter un électrocardiogramme, des épreuves fonctionnelles respiratoires, réaliser le codage des séjours et des actes au sein d’un hôpital sont des tâches qui peuvent être laissées à l’IA (2). Les pédiatres auraient ainsi du temps dégagé pour innover dans leurs prises en charge, l’innovation restant inaccessible à l’IA.
Des sociétés privées à la manœuvre
Mais l’IA peut être perçue comme une menace quand elle risque de transformer radicalement la fonction du pédiatre. En diabétologie pédiatrique, un système de pancréas artificiel en cours d’essai utilise l’IA pour déterminer automatiquement les doses d’insuline à délivrer en fonction des données entrées par le patient (repas, activité physique), du capteur de glycémie en continu, et des précédentes réponses de l’organisme (3). Cet exemple laisse songeur. La pédiatrie a actuellement ceci de merveilleux qu’elle requière deux éléments : des compétences médicales, et une réelle humanité auprès des enfants et de leurs familles. L’émergence de l’IA dans les prises en charges déjà très « algorithmées » pourrait contraindre les pédiatres à perdre l’un ou l’autre : soit la maîtrise de leur sujet, devenant les prescripteurs « gentils » de systèmes ultra-performants dont ils n’auraient pas les clés, gérés par des entreprises privées ; soit leur part d’humanité, devenant les ingénieurs froids de ces systèmes, gérant leurs cohortes de patients en télémédecine derrière des écrans de contrôle.
exergue : Nous risquons d’avoir à choisir entre devenir de gentils prescripteurs de systèmes ultraperformants dont nous n’avons pas les clés, ou de froids ingénieurs systèmes, gérant des cohortes de patients derrière notre écran de contrôle
Praticien hospitalo-universitaire, service de pneumologie et allergologie pédiatriques & CRCM, hôpital universitaire Necker-Enfants Malades, AP-HP, Paris (1) Gurovich. Nature Medicine 2019 (2) Topalovic. European Respiraory Journal 2019 (3) Benhamou PY. The Lancet Digital Health 2019
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