Une cohorte française sur l’embolie pulmonaire

Covid-19 : oui à l’anticoagulation sans attendre

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Publié le 14/09/2020

Une vaste cohorte française a précisé les facteurs de risque d’embolie pulmonaire sous Covid-19 et le bénéfice de la prophylaxie. Les leçons pratiques à retenir : il faut réduire le délai d'hospitalisation et ne pas tarder à mettre en place une anticoagulation prophylactique puis curative à l’hôpital.

Crédit photo : Phanie

L’analyse rétrospective d’une vaste cohorte française d’embolies pulmonaires (EP) documentées sous Covid-19 est riche d’enseignements (1,2). Elle montre que les facteurs de risque prédominants sont différents des facteurs de risque classique d’EP. On retrouve, côté facteurs péjoratifs, des facteurs de risque d’infection sévère à Covid-19 à savoir le sexe mâle et surtout l’inflammation (taux de CRP) et, côté facteurs protecteurs, l’anticoagulation prophylactique ou thérapeutique. Le délai avant hospitalisation, probablement du fait du retard à l’anticoagulation, est lui aussi péjoratif. En revanche, les facteurs de risque traditionnels d’EP ne sortent pas. Enfin, sans surprise, la survenue d’EP majore le risque de passage en réanimation et d’intubation des patients.

Les complications cardiopulmonaires en première ligne

« Outre les symptômes pulmonaires, le Covid-19 est fréquemment associé à des complications cardiaques. Elles surviennent chez 20 à 30 % des personnes hospitalisées et seraient responsables de 30 à 40 % des décès. On retrouve aussi des complications vasculaires pulmonaires comme les EP, et leur fréquence semble majorée par comparaison aux patients en états critiques mais non infectés par le Covid-19, rappellent en préambule les auteurs. Or, elles pourraient marquer un tournant pronostique lié à l’addition d’hypoxémie ou de collapsus hémodynamique menant à l’admission en réanimation voire à l’intubation ». C’est pourquoi l’EP sous Covid-19 est une complication importante qui demande d’être prévenue, dépistée et traitée de façon optimale quand elle survient. L’identification des facteurs de risque est donc très intéressante. C’est le but de cette étude, qui s’est attachée à décrire les caractéristiques initiales (à l’admission) des patients qui ont développé une EP sous Covid-19 au sein d’une vaste cohorte multicentrique.

Plus de 1 200 cas consécutifs inclus aux urgences (hors réanimation)

De fin février à la mi-avril, tous les patients consécutifs admis dans 24 centres français participant à l’étude observationnelle Critical Covid-19 France (CCF) initiée par la Société française de cardiologie (SFC) ont été inclus. Soit près de 3 000 personnes hospitalisées pour Covid-19, à l’exclusion de ceux admis directement en réanimation. Parmi eux, 1 240 ont bénéficié d’un angioscanner pulmonaire (CTPA) à visée de dépistage d’une EP, quand les volumes d’oxygène requis étaient importants alors que les atteintes pulmonaires au scan semblaient limitées.

Au sein de ces 1 240 sujets (58 % d’hommes et 64 ± 17 ans d’âge moyen), au total 103 patients (8,3 %) ont fait une EP. Sur ces 103 EP la moitié était à bas risque, plus de 18 % à risque intermédiaire et près d’un tiers (31 %) à haut risque (risque fonction de la PAS, du score sPESI, de la troponine et d’une dysfonction ventriculaire droite à l’écho transthoracique conformément aux recommandations de l’ESC). À noter, le diagnostic d’EP a été fait une fois sur quatre dans les premières 48 heures et après seulement pour 23 patients (22 %).

Sexe, inflammation et délai avant hospitalisation

En analyse univariée plusieurs facteurs de risque émergent. Parmi les facteurs péjoratifs :

− le sexe masculin (RR = 1,8 [1,2-2,9] ; p = 0,009) ;

− présence d’une douleur thoracique (RR = 2,2 ; p = 0, 004) ou d’une dyspnée (RR = 1,7 ; p = 0,022) ;

− retard entre début de la symptomatologie et l’hospitalisation (RR = 1,4 ; p = 0,009) ;

− inflammation avec un plus haut taux de leucocytes (RR = 1,1), de CRP (RR = 1,33) et de plaquettes (RR = 1,1) ;

− élévation des D-dimères (RR = 1,1) ;

− lésions pulmonaires sévères aux scan (plus de 50 % de lésions en verre dépoli) (RR = 1,7 [1,1-2,7] ; p = 0,036) ;

− haute FiO2 (RR = 1,02).

Et, parmi les facteurs protecteurs :

− antécédent d’AVC (RR = 0,80) ou de FA (RR = 0,10) ;

− anti-coagulation à dose thérapeutique avant l’admission (RR = 0,40 [0,1-0,9] ; p = 0,044) ou à dose prophylactique au cours de l’hospitalisation (RR = 0,11 [0,06-0,18] ; p < 0,001).

En analyse multivariée, seuls quelques facteurs de risque indépendants persistent. Ce sont le sexe masculin (RR = 1,03) le taux de CRP (RR = 1,03) et le délai avant hospitalisation (RR = 1,02), et du côté positif, l’anticoagulation à dose thérapeutique (RR = 0,87) ou prophylactique (RR = 0,83).

Plus de réanimation mais pas plus de décès

Dans cette série où l’on est globalement à 12 % de décès, l’EP n’est pas associée à une surmortalité (p = 0,34). En revanche, les patients ont bien plus souvent dû être admis en réanimation (31 % vs 13 %, p < 0,001) et être intubés (24,3 % vs 7,3 % ; p < 0,001).

Pour rappel, lors de la pandémie de grippe de 2009, il avait déjà été observé que la mise en route d’une héparinothérapie empirique chez les patients en détresse respiratoire avait réduit l’incidence des EP et ceci sans majoration des complications hémorragiques.

 

(1) C Fauvel et al. Pulmonary embolism in Covid-19 patients: a French multicentre cohort study. European Heart Journal, ehaa500, https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehaa500

(2) A Torbicki .Covid-19 and pulmonary embolism: an unwanted alliance. European Heart Journal, ehaa553, https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehaa553

 

Pascale Solère

Source : lequotidiendumedecin.fr