De plus en plus de traitements sont disponibles dans les cancers bronchiques : il est désormais possible, grâce à la biologie moléculaire, de démanteler des tumeurs en retrouvant des mutations accessibles aux thérapies ciblées, avec un impact pronostique important.
Chez les patients réarrangés ALK
Certaines mutations ou réarrangement survenant sur le génome des cellules cancéreuses modifient l’activation des voies de signalisation de la croissance cellulaire et constituent des « drivers oncogéniques » qui favorisent la croissance des cellules tumorales. Des thérapies ciblées de type Tyrosine Kinase Inhibiteur (TKI) ont pu être mises au point contre certaines d'entre elles (dont ALK). « En bloquant le signal d’activation cellulaire, chaque thérapie ciblée bloque la croissance cellulaire, avec un potentiel efficacité très important : ainsi, la réponse obtenue peut être bonne et durer dans le temps. Toutefois, il s'agit de niches thérapeutiques qui concernent peu de patients et les patients réarrangés ALK ne représentent que 4 % environ des adénocarcinomes bronchiques. En contrepartie, de plus en plus de molécules sont disponibles pour ces patients de sorte qu'en cas d'échappement à une molécule, il est toujours possible d'en utiliser une seconde, puis une troisième, etc. Deux molécules (crizotinib et ceritinib) sont commercialisées en France et d’autres sont accessibles dans le cadre d'une ATU (lorlatinib, brigatinib) ou d’un essai clinique (alectinib). Aujourd'hui, les tests pour savoir si un patient est réarrangé ALK, ou non, sont faits de façon systématique sur tous les cancers bronchiques primitifs nouvellement diagnostiqués dès lors qu'ils sont non à petites cellules (CBNPC) et non épidermoïdes. Le fait de retrouver ce type d'anomalie et de pouvoir proposer une thérapeutique ciblée a changé la donne pour ces patients », insiste le Dr Debieuvre.
Exergue : Le fait de retrouver ce type d'anomalie et de pouvoir proposer une thérapeutique ciblée a changé la donne pour ces patients
Une étude de Jessica J. Lin (« Targeting ALK : Precision Medicine Takes on Drug Resistance » publiée dans Cancer Discovery) menée chez des patients réarrangés ALK montre qu'il est aujourd'hui possible de surmonter les résistances thérapeutiques. « Tout comme il existe un antibiogramme permettant de cibler les antibiotiques efficaces contre tel type de bactérie en cas d'infection, on est en passe de disposer d'un « anti-ALKogramme » (grâce aux techniques de séquençage tumoral) pour adapter au mieux le traitement à tel ou tel patient selon le réarrangement ALK présenté, insiste le Dr Debieuvre. Il est ainsi important pour le traitement au long cours de ces patients, de bien connaître les mécanismes de résistance aux ALK-TKI pour adapter la stratégie thérapeutique, mais aussi de rebiopsier à intervalles réguliers pour capter l’hétérogénéité et la variabilité dynamique thérapeutique tumorale ».
Dans une étude parue dans le New England Journal of Medicine (« Alectinib versus Crizotinib in Untreated ALK-Positive Non–Small-Cell Lung Cancer »), Solange Peters rapporte un bénéfice très important de l'alectinib en première ligne par rapport au crizotinib. L'alectinib est un ALK-TKI très sélectif qui a montré une activité systémique et intracérébrale très importante sur les CBNPC ALK+. Cette étude randomisée, ouverte, de phase 3, incluant 303 patients, alectinib (600 mg x 2/j) vs crizotinib (250 mg x 2/j) avait pour objectif principal la survie sans progression (SSP) et pour objectifs secondaires, le temps jusqu’à la progression cérébrale, le taux de réponses objectives (RO) et la survie globale (SG). « Il en ressort que l'alectinib obtient de bien meilleurs résultats que le crizotinib en première ligne chez ces patients, avec une survie sans progression à 68,4 % à 12 mois contre 48,7 % dans le bras crizotinib, soit une réduction de 43 % du risque de progression à 12 mois. La réduction du risque de progression cérébrale est aussi importante puisque 12 % des patients sous alectinib ont progressé contre 45 % sous crizotinib, soit une réduction du risque de progression cérébrale de 84 %. Quant au profil de toxicité des deux molécules, il est comparable, avec un léger avantage pour alectinib concernant la toxicité de grade 3 ou 4. Après avoir obtenu l'autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne en deuxième ligne après échec du crizotinib, l'alectinib vient d'obtenir l'AMM européenne en première ligne : pas encore disponible en France hors essai clinique, il est très attendu en 2018 », commente le Dr Debieuvre.
Dans les mutations EGFR
Le récepteur au facteur de croissance épidermique (EGFR), présent à la surface des cellules cancéreuses, est un « driver oncogénique » qui joue un rôle important dans l’apparition et le développement des cancers bronchiques. Sa dérégulation dans les cellules cancéreuses conduit à une survie accrue des cellules tumorales, à leur prolifération et à l’apparition d’un phénotype métastatique. Il s'agit d'une glycoprotéine transmembranaire qui appartient à la famille des récepteurs à tyrosine kinases, jouant un rôle majeur dans la transduction du signal cellulaire. « Pour les patients EGFR mutés, il existe actuellement trois molécules commercialisées : 2 TKI de première génération (gefitinib et erlotinib) et un TKI de deuxième génération (afatinib). Un TKI de troisième génération est disponible via la pharmacie hospitalière dans le cadre d’un dispositif post-AMM en attente de prix : il s'agit de l'osimertinib, mais d’autres sont en cours d’évaluation », rappelle le Dr Debieuvre.
« L'osimertinib est intéressant car tous les patients finissent par échapper aux TKI de première ou deuxième génération (« le cancer est malin ») en raison de la pression de sélection du traitement et/ou de la présence initiale d'un clone résistant qui va se développer. Or l'osimertinib s'avère être efficace sur la mutation T790M, mécanisme de résistance fréquent, que l'on retrouve dans 50 % des cas où un échappement aux TKI de première et deuxième générations est observé ». D'autres mécanismes de résistance peuvent toutefois apparaître, de sorte que les patients vont aussi finir par échapper à l'osimertinib. À l’heure actuelle, cette molécule est indiquée en deuxième ligne, après échappement aux TKI de première ou deuxième génération, en présence de la mutation T790M mise en évidence via une simple prise de sang sur ADN tumoral circulant (biopsie liquide) ou à partir de biopsies de la tumeur. Il est parfois nécessaire de refaire ces examens pour optimiser ses chances de ne pas passer à côté de la mutation et d’un traitement potentiellement efficace pour le patient : une mutation T790M peut être retrouvée après deux ou trois échecs en raison de l’hétérogénéité tumorale et de la faible expression plasmatique.
Deux publications se sont intéressées à l'administration de l'osimertinib en première ligne (versus un TKI de première génération) chez des patients EGFR mutés, indépendamment de la présence de la mutation T790M. La première étude de Suresh S. Ramalingam, publiée dans Journal Clinical Oncology (« Osimertinib As First-Line Treatment of EGFR Mutation–Positive Advanced Non–Small-Cell Lung Cancer ») est une étude de phase 1, réalisée chez 60 patients naïfs de tout traitement. La seconde étude de Jean-Charles Soria, publiée dans The New England Journal of Medicine (« Osimertinib in Untreated EGFR-Mutated Advanced Non–Small-Cell Lung Cancer »), est une étude de phase 3 en double aveugle avec randomisation, ayant inclus 556 patients. « Ces deux études sont importantes car elles montrent que l'osimertinib est plus efficace que les TKI de première génération (peut-être en empêchant d'emblée la croissance de clones résistants), avec une survie sans progression médiane qui passe de 10,2 mois à 18,9 mois, soit une réduction de 54 % du risque de progression. Le taux de réponse est similaire dans les deux bras (80 % vs 76 %), mais la durée médiane de réponse passe de 8,5 mois à 17,2 mois avec l'osimertinib. Surtout, le bénéfice clinique est net sur le risque de progression cérébrale. Si cette dernière devait être prescrite en première intention, cela poserait néanmoins le problème de la deuxième ligne lors de l’échappement, en l’absence pour l’instant d’un TKI de quatrième génération surmontant les autres mécanismes de résistance, imposant le recours à la chimiothérapie classique. La question de savoir si l'osimertinib en première intention peut faire mieux que le traitement séquentiel (TKI première ou deuxième puis troisième génération), est donc une question centrale actuellement », insiste le Dr Debieuvre.
D’après une interview du Dr Didier Debieuvre, service de pneumologie, GHRMSA (Mulhouse)
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