Le 21 septembre 2001, une explosion survient dans l’usine Grande Paroisse, à 3 km du centre-ville de Toulouse. Elle tue 31 personnes, en blesse 2 200 autres et détruit partiellement ou totalement environ 27 000 logements et 1 300 entreprises. Exactement 20 ans après, les conséquences sanitaires de la catastrophe perdurent, même si elles sont encore difficiles à évaluer.
« Il n'est pas facile d'évaluer la prévalence actuelle », estime le psychologue et docteur en droit Jean-Pierre Bouchard (Institut psycho-judiciaire et de psychopathologie et centre hospitalier de Cadillac) qui a participé à la prise en charge immédiate des troubles psychologiques des victimes. « Il est probable que l'anniversaire de l'accident ne provoque de réminiscences chez certains patients qui se croyaient tirés d'affaire. Cet anniversaire peut aussi avoir un effet positif sur d'autres », ajoute-t-il.
Ce d'autant que, depuis le rapport final de 2015 établi par l'Institut de veille sanitaire (InVS, agence depuis intégrée dans Santé publique France), le suivi de la cohorte de 3 000 travailleurs à proximité de l'explosion a pris fin.
Pour l'association des sinistrés du 21 septembre 2001, les séquelles physiques restent lourdement sous-estimées et insuffisamment indemnisées : « Seulement environ une personne ayant des séquelles physiques sur dix a demandé une reconnaissance officielle, ce qui souligne le décalage entre le terme "séquelles" utilisé dans le questionnaire [de l'InVS] qui était à l’appréciation de la personne interrogée et le terme utilisé en matière d’indemnisation, rapporte l'association. Les séquelles ressenties par les personnes ne correspondaient peut-être pas aux critères de demande de reconnaissance ou bien une grande part des personnes avec des séquelles ont renoncé à faire une demande de reconnaissance. »
Selon l'association, la Caisse primaire d’Assurance-maladie (CPAM) a comptabilisé 11 436 dossiers relatifs à l’explosion, dont 7 657 dossiers en risque maladie. Le montant de l’indemnisation du préjudice corporel versée aux victimes de l’explosion AZF est de 300 millions d’euros.
Un stress post-traumatique qui perdure
Selon ce rapport qui a étudié le mal-être psychique et d'autres indicateurs de santé, la prévalence des symptômes d'état de stress post-traumatique n'a que lentement diminué au fil des années, passant de 15 % en 2004-2005 à 11 % en 2008-2009 chez les hommes et de 22 à 17 % chez les femmes. Concernant les symptômes dépressifs, la prévalence est passée de 33 à 27 % chez les hommes et de 47 à 43 % chez les femmes. Quant aux déficits auditifs à moyen terme, les données des audiogrammes chez 770 personnes de la cohorte ne semblent pas indiquer que l'explosion ait eu un impact significatif sur leur prévalence, en dépit des nombreux symptômes fonctionnels observés à court terme (acouphènes, hyperacousie, vertiges). Une conclusion que remet en question l'association : « les atteintes auditives sont la deuxième cause de séquelles indemnisées par l'Assurance-maladie ».
La première analyse longitudinale des données de l'InVS (2001-2004) avait mis en évidence une association entre l’exposition à la catastrophe industrielle et la santé mentale des participants, concordante avec les données de prescription de médicaments psychotropes qui ont fortement augmenté dans les semaines qui ont suivi l'explosion. Les femmes étaient moins concernées que les hommes, ce qui peut s'expliquer par le fait que, contrairement à ces derniers, les femmes étaient peu présentes dans le cercle de 1,7 km de rayon qui forme l'épicentre de l'explosion.
Un profil psychologique précis
Le jour même de l'explosion, Jean-Pierre Bouchard joint la cellule d'aide médicopsychologique mise en place par le maire de Toulouse, Philippe Douste Blazy. « Très rapidement, j'ai réalisé qu'il ne fallait pas attendre que les patients viennent, narre-t-il. Je me suis rendu directement dans les entreprises situées autour de l'épicentre de l'explosion pour faire du diagnostic et du débriefing de groupe, se souvient-il auprès du « Quotidien ». Il fallait faire vite avant que les victimes de troubles psychologiques ne partent pour des arrêts maladies qui n'auraient pas réglé leurs problèmes. »
En un peu plus de 2 semaines, le clinicien rencontre plus de 750 patients. Il tirera de cette expérience une description clinique des cas qu'il a publiée en 2019. « Une explosion est un événement soudain très bref et d'une rare violence avec un haut potentiel traumatique », poursuit-il.
Les psychologues encore mal formés pour ce genre de situation
Jean-Pierre Bouchard cite la présence de souvenirs récurrents, involontaires et envahissants de l’explosion, de rêves angoissants répétitifs, de détresses psychologiques intenses et des réactions physiologiques en réponse à des éléments rappelant le choc. « Des patients sursautaient quand je frappais à la porte », illustre-t-il.
Les troubles psychosomatiques s'accompagnent d'un risque élevé d'idées suicidaires, voire de réactivations de troubles anxiodépressifs anciens. Jean-Pierre Bouchard ajoute que la nature des troubles est fortement liée à la manière dont le patient a été exposé à l'explosion, citant l'exemple d'un ouvrier ayant passé plusieurs heures coincé sous des rails de chemin de fer et ayant développé une claustrophobie par la suite.
« En France, il y a six fois plus de psychologues que de psychiatre, c'est donc nous qui sommes en première ligne face à ce genre d'événement, explique Jean-Pierre Bouchard. Le problème est que, aujourd'hui comme en 2001, très peu d'entre nous sont formés à la prise en charge des victimes de catastrophes, c’est-à-dire savent faire un diagnostic fondé sur des critères internationaux et surtout apporter un point de vue médico-légal pour des demandes d'indemnisation par exemple. »
Jean-Pierre Bouchard et al, Annales médico-psychologiques, n°177, 1013-1016, 2019
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