« J’ai une mère qui a pendant 35 ans été présidente en Savoie de l’Union nationale des amis et familles de personnes malades et/ou handicapés psychiques, l’Unafam, et (…) je voudrais que la santé mentale soit la grande cause nationale en 2025 », a déclaré Michel Barnier sur le plateau du Journal télévisé de France 2, ce 22 septembre. Après une année 2024 consacrée à la promotion de l'activité physique et sportive, la perspective d’une telle labélisation – qui permet d’obtenir des diffusions gratuites de messages sur les radios et télévisions publiques – fait consensus pour la santé mentale. Mais les professionnels sur le terrain attendent du concret alors qu’un tiers des postes de praticiens hospitaliers sont vacants tandis que le nombre de patients en psychiatrie a été multiplié par deux ces vingt dernières années (jusqu’à 2 millions de Français pris en charge chaque année).
« C’est dans l’air du temps, c’était attendu », remarque auprès du Quotidien le Pr Bruno Falissard, président de la Société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et disciplines associées (Sfpeada). Dès janvier, un collectif de 22 acteurs de la psychiatrie, du médico-social et des proches*, a lancé une pétition pour faire de la santé mentale une priorité en 2025 ; elle comptabilise plus de 42 600 signatures à ce jour. Partageant le même but, en avril, des députés (en majorité Renaissance) avaient déposé à l’Assemblée nationale une proposition de résolution.
Trop de grands-messes sans retombées concrètes
« C’est une bonne idée, bien sûr », commente le Pr Falissard. « Nous prenons note de cette annonce, qui reflète à quel point cette cause était laissée dans l’oubli depuis très longtemps », réagit auprès du Quotidien la Dr Marie-José Cortès, présidente du Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH). « Nous attendons désormais du concret, car les multiples travaux lancés jusqu’à présent se sont arrêtés », poursuit-elle. « Que, enfin, les gestes suivent… », exhorte encore sur X le Pr Olivier Bonnot, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Le Collège national des universitaires de psychiatrie (Cnup) a quant à lui fait un appel du pied à Michel Barnier sur X : « On a des idées, de l’ambition et de la volonté ! À votre disposition Monsieur le Premier ministre, vous pouvez compter sur nous ».
Malgré l’engagement, en septembre 2023, de la Première ministre Catherine Vautrin de mettre l’accent sur la santé mentale des jeunes, les Assises de la pédiatrie et de la santé mentale au printemps 2024 ont déçu les professionnels de la psychiatrie. Quant au Conseil national de la refondation (CNR), prévu à l’été, il a été annulé après la dissolution de l'Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron.
« Jusqu’à présent, nous avons assisté à de grands raouts qui accouchent d’une petite souris. Les Assises de la santé mentale de 2021 prévoyaient 800 postes dans les centres médico-psychologiques (CMP) adultes et enfants. Aujourd’hui, moins d’un CMP sur quatre a obtenu ce poste », déplore la Dr Cortès. « Nous ne voulons pas d’usines à gaz, mais une planification de réunions, avec des interlocuteurs qui connaissent le terrain, des objectifs précis, une méthodologie, et des réalisations concrètes », insiste-t-elle. Parmi les urgences, selon le SPH : des moyens pour faciliter l’accès aux CMP et aux secteurs de psychiatrie, mais aussi pour éviter les ruptures dans les parcours et accueillir les patients dits difficiles, le renforcement du dépistage et de la prise en charge des patients avec des troubles du neurodéveloppement, et une attention spécifique aux exclus de la société qui cumulent les comorbidités. « Il faut une psychiatrie publique forte pour que la santé mentale soit forte », ajoute-t-elle.
Ne pas diluer la psychiatrie dans la santé mentale
Les psychiatres joints par le Quotidien regrettent en outre la dilution de la psychiatrie dans la santé mentale. « Elle est l’un des acteurs de la santé mentale, plus globale. Mais personne ne s’y intéresse vraiment ! », note la présidente du SPH.
« La santé mentale, c’est surtout de la communication, cingle le Pr Falissard. On ne parle jamais de psychiatrie. Or on ne peut s’arrêter à des analyses et solutions simplistes, ni se contenter d’enfumage ou de scientisme neuroscientifique ». Au-delà d’une question de moyens, certes réelle, le Pr Falissard pointe la nécessité de traiter les problèmes dans toute leur complexité, ce qui demande du temps. « Comprendre les bouleversements de la société, ce qu’elle attend des psychiatres, et se réorganiser en profondeur… Tout ne sera pas réglé en trois mois ni même un an », considère-t-il.
*AIRe, Association des établissements du service public de santé mentale (Adesm), Advocacy France, Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues (AJPJA), Alliance pour la santé mentale, Argos 2001, Centre collaborateur de l'Organisation mondiale de la santé pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS), ClubHouse, Collectif national interGEM (Cnigem), Facettes Festival, Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires (Fehap), Fondation Falret, Fondation FondaMental, MGEN, Nightline, Positive Minders, PSSM France, Psycom, SantéMentaleFrance, Unafam
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