Une mise au point d’autant plus nécessaire que des informations contradictoires peuvent déstabiliser les généralistes qui sont en première ligne contre la dépression. L’équipe pluridisciplinaire d’experts, réunie autour de Jean-Pierre Olie, a particulièrement insisté sur la nécessité d’une démarche médicalisée rigoureuse, en évitant les excès favorisés par les modes médiatiques.
En effet, à l’apparition des premiers inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS), certains media n’ont pas hésité à parler de molécule du bonheur, suggérant que la « déprime » menaçait beaucoup d’entre nous. On disait aussi, ce qui était vrai, que les Français consommaient trop d’anxiolytiques et pas assez d’antidépresseurs…
Aujourd’hui, le buzz médiatique révèle une véritable inversion de l’humeur : on met l’accent sur les prescriptions injustifiées, on remet systématiquement en cause l’efficacité des traitements pharmacologiques et leur tolérance…
Entre ces excès, il est temps de rappeler que la meilleure garantie fournie aux patients repose sur ne prise en charge médicalisée rigoureuse.
Une pathologie fréquente
Certes, la notion de seuil pathologique, très variable dans la dépression, mais qui permet de distinguer les simples « symptômes dépressif » - la déprime – du syndrome dépressif, rend le diagnostic difficile et les statistiques approximatives.
Néanmoins, on estime que la prévalence de la dépression se situe entre 10 et 15%, dont environ 5% de dépressions sévère (30% en milieu carcéral, 50% des SDF). Par ailleurs, on compte 10.000 suicides réussis par an, dont au moins 60% sont imputables à une dépression.
Une pathologie qui amène très souvent chez le Généraliste, comme en atteste une enquête électronique du Quotidien du Médecin, : 56% des MG déclarent voir 1 à 5 déprimés par mois, 31% de 6 à 10 et 13% plus de 10. Une hétérogénéité qui reflète surement des différences de clientèle mais aussi de critères diagnostiques utilisés par chaque praticien.
La dépression est fréquente et elle coûte cher, en coûts directs (3 milliards d’euros pour les soins), mais surtout en coûts indirects (suicides, indemnités journalières, baisse de productivité et de compétitivité…).
Maladie biopsychosociale et enjeu sociétal
La dépression est, qu’on le veuille ou non, un enjeu sociétal, dans la mesure où elle peut mettre en jeu de nombreux facteurs liés à la personnalité du patient, à son environnement social, à des événements de vie, qu’il s’agisse d’une maladie chronique ou du chômage, sans parler d’une composante génétique parfois évoquée mais non démontrée.
Le polymorphisme symptomatique, associé à la multitude de facteurs associés, rend difficile la modélisation de la maladie, son diagnostic et sa prise en charge.
Dans ces conditions, les critères du DSM IV (en attendant le DSM V) permettent de mieux reconnaître le patient devant bénéficier d’une prise en charge thérapeutique. Au delà mêmes des critères, l’essentiel est d’effectuer une analyse attentive de la symptomatologie, la qualité de la prise en charge dépendant de celle de l’écoute. In fine, il faut « remédicaliser » la dépression.
Le débat sur les anti-dépresseurs
De même, il faut ramener un peu de sérénité et de lucidité dans les débats sur la prise en charge, en rappelant des données simples.
• S’il est vrai que certains patients reçoivent des antidépresseurs alors que leur état ne relève pas d’une prise en charge pharmacologique, de nombreux déprimés authentiques ne bénéficient d’aucun traitement, avec les risques énumérés plus haut.
• Il faut se souvenir qu’avant l’apparition des ISRS, le traitement de la dépression reposait sur les tricycliques qui exposaient à des effets secondaires fréquents et sur les IMAO dont le maniement était difficile, avec de très nombreuses contre-indications.
• Dans ces conditions, qui peut nier que les ISRS ont fait progresser la prise en charge de façon notable, en améliorant la maniabilité et la tolérance, en assurant une efficacité démontrée, en particulier sur le risque suicidaire ? Encore faut-il que ces médicaments soient utilisés à bon escient, dans le respect des indications et des contre-indications, avec une durée suffisante pour éviter les récidives, et un sevrage progressif.
• Enfin et surtout, la prescription d’un antidépresseur ne se conçoit que dans une approche clinique globale prenant en compte la personnalité, les antécédents familiaux, les comorbidités et la biographie de chaque patient.
Avec des réponses qui ne sont pas uniquement pharmacologiques.
(1) avec le soutien institutionnel des Laboratoires Lundbeck
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