Utiliser notre propre système immunitaire pour traiter un cancer n’est pas une idée neuve : le concept d’immunosurveillance des tumeurs a été évoqué au début du XXe siècle par Paul Erlich et, dès la fin du XIXe siècle, William B. Coley, avait montré que l’injection d’extraits de cultures de streptocoques déclenchait une réaction inflammatoire qui permettait de faire régresser des sarcomes. Puis, faute de résultats convaincants, cette idée a été abandonnée au profit des stratégies conventionnelles : chimiothérapie, chirurgie et radiothérapie. Depuis quelques années, l’immunothérapie du cancer vit une véritable révolution et fournit des résultats inespérés dans des situations de cancers dépassées. L’idée vient du constat que les cellules tumorales échappent au système immunitaire, notamment grâce à l’expression de molécules de costimulation inhibitrices (telle PD-L1) qui favorisent le développement d’un état de tolérance vis-à-vis de la tumeur. Des anticorps monoclonaux ciblant ces molécules de costimulation (checkpoint immunitaires) ont ainsi été développés pour bloquer la tolérance et promouvoir l’activation des lymphocytes, afin de reconnaître et détruire les cellules tumorales.
Une survie améliorée par les anticorps monoclonaux
Les inhibiteurs de checkpoint immunitaire (ICI) les plus utilisés ciblent deux voies de costimulation : la voie CD80-86/CTLA-4 et la voie PD-1/PD-L1. L’ipilimumab (anticorps anti-CTLA-4) a été le premier ICI démontrant une amélioration spectaculaire de la survie des patients présentant un mélanome métastatique, ce qui permit l’obtention d’une AMM dès 2011. L’analyse poolée des essais de phase II et III montrait que la survie globale parvenait à un plateau à la troisième année de traitement, aboutissant à la survie de plus de 20 % des patients avec un recul de 10 ans. Deux anticorps anti-PD-1, le nivolumab et le pembrolizumab, ont rapidement montré des résultats supérieurs, le taux de survie parvenant à près de 75 % à un an avec ce dernier produit. Puis la combinaison de l’inhibition du CTLA-4 et de la voie PD-1 a encore amélioré ces chiffres : ce sont désormais près de 60 % des patients qui sont en survie à 3 ans.
Parallèlement, ces produits ont également montré leur intérêt dans les cancers du poumon non à petites cellules à un stade avancé, inopérables ou métastatiques, dans les cancers du rein en échec thérapeutique, les cancers urothéliaux, le cancer de Merkel et les lymphomes réfractaires.
Les ICI font ainsi naître une énorme vague d’espoir, permettant d’obtenir des survies prolongées chez 20 à 50 % de patients présentant des cancers avancés inaccessibles aux thérapeutiques conventionnelles (mélanomes malins, cancers du poumon ou de la vessie inopérables…).
Des effets secondaires liés à l’immunité
L’inhibition de l’immunotolérance induite par les ICI n’est en rien spécifique du tissu tumoral. Il est donc logique qu’elle puisse induire des phénomènes dysimmunitaires par perte de tolérance vis-à-vis d’auto-antigènes, ce d’autant que la lyse des cellules tumorales induite par l’activation du système immunitaire aboutit à la libération de médiateurs pro-inflammatoires et de signaux « danger ». Ces complications ont rapidement été décrites sous le nom d’Immune-Related Adverse Events (irAEs) : colites (35 % des patients), hépatites, rashs cutanés, psoriasis, vitiligo, hypophysites, thyroïdites, uvéites, pneumopathies, myasthénies, syndrome de Guillain-Barré… Elles surviennent le plus souvent dans les trois mois suivant l’introduction de l’ICI. Généralement, ces manifestations sont modérées et transitoires, mais elles peuvent être sévères et mettre en jeu le pronostic vital des patients. Ces irAEs varient dans leur nature et leur sévérité en fonction du traitement, plus divers et plus sévères sous anti-CTLA-4 que sous anti-PD-1/PD-L1, plus spécifiques d’organe et liés au type de tumeur avec les anti-PD-1/PD-L1. Les événements rhumatologiques (arthralgies et arthrites) ont été principalement observés avec les traitements anti-PD-1/PD-L1. Dans la cohorte bordelaise, des manifestations rhumatologiques ont été observées chez 8 % des patients, le plus souvent sous la forme de pseudo-polyarthrite rhizomélique ou de polyarthrite rhumatoïde.
Il est intéressant de noter que la survenue d’un irAE est généralement associée à une bonne réponse antitumorale. Dans la cohorte bordelaise, la médiane de survie chez les patients ayant présenté un irAE était de 1169 jours contre 224 jours chez les patients n’en ayant pas développé.
Des manifestations articulaires traitées par corticothérapie
La prise en charge des irAEs est complexe, et peut paraître paradoxale puisqu’elle consiste à introduire un traitement immunosuppresseur chez des patients avec un système immunitaire activé pour traiter leur cancer ! En fait, le traitement des irAEs est très variable : si les colites sévères imposent souvent l’arrêt des ICI et l’introduction d’un traitement puissant (anti-TNF par exemple), le traitement des manifestations articulaires n’impose généralement aucune modification du traitement du cancer, et relève d’une simple corticothérapie à faible dose. Quoi qu’il en soit, la prise en charge de ces événements impose une étroite collaboration entre les oncologues et les spécialistes d’organe cibles de ces irAEs, et notamment les rhumatologues.
Département de rhumatologie FHU ACRONIM, hôpital Pellegrin (Bordeaux)
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