Pour déclencher une action collective aux États-Unis, il suffit d'alerter les utilisateurs d'un produit commercialisé sur un risque spécifique particulièrement fréquent lié à son administration. D'un point de vue médico-légal, le recours à un médicament dépend avant tout d'une juste appréciation de l'équilibre bénéfice/risque. Pour pouvoir entamer une action d'envergure, il convenait alors à la communauté juridique de trouver un angle technique d'attaque acceptable : ce fut celui du devoir d'information. Il s'agit d'une démarche juridique fragile car, quelque peu subjective et déjà réglementé par la Food and drug administration (FDA) qui en matière de médicament valide, ou non, les notices d'information. Dans le cas des fractures atypiques et des biphosphonates, ce risque a été mentionné lors de l'obtention initiale de l'autorisation de mise sur le marché (AMM), mais peut-être sous-estimé dans son ampleur épidémiologique due à son expression différée. Les actions collectives étant conduites à l'intérieur des états, et la réglementation de commercialisation relevant du niveau fédéral, le recours à l'arbitrage de la cour suprême s'imposa, mettant ainsi sur le devant de la scène les fractures atypiques du fémur.
Une entité particulière
Les fractures atypiques du fémur observées sur des personnes traitées de longue date par biphosphonates, se trouvent au niveau de l'extrémité proximale, région sous trochantérienne, et de configuration spatiale particulière. Il s'agit d'une zone squelettique de macrostructure tissulaire transitionnelle combinant os trabéculaire et cortical. La distribution des forces et contraintes mécaniques qui s'y exercent est d'une extrême variabilité, tenant à la fois au morphotype, à l'indice de masse corporelle, au niveau d'activité… En outre, de par leur topographie, ces fractures s'individualisent radiographiquement par un trait, étendu, plutôt spiroïde, rompant de façon décalée les deux corticales (d'abord transversalement la corticale latérale puis en biseau la médiale) et surtout, traversant le plus souvent, sur la corticale de départ, un foyer de remaniement et de néoformation osseuse. L'évaluation radiographique du fémur opposé fait donc partie de cette identification radiographique car il n'est pas exceptionnel d'y retrouver les prémices d'une lésion similaire. Cette analyse est tout particulièrement pertinente car la survenue de cette fracture est fréquemment précédée de symptômes précurseurs. Le caractère spectaculaire et sévère de la fracture, même en tant que simple dommage collatéral des biphosphonates, permet de comprendre l'importance de la suspicion concernant l'usage de ces médicaments.
Une décision chirurgicale inévitable
Comme pour la plupart des fractures de hanches ou de leur voisinage immédiat, le traitement chirurgical est inévitable. S'agissant d'un segment osseux porteur, la personne fracturée ne peut se résoudre à être condamnée à une perte de déambulation et/ou à un décubitus prolongé. L'ostéosynthèse est donc obligatoire et passe, dans la majorité des cas, par la mise en place d'un clou centromédullaire. Malgré l'excellente efficacité habituelle de cette méthode de fixation, le délai de consolidation est étonnamment long (environ six mois en moyenne) dans le cas particulier des fractures atypiques. De surcroît, en raison d'incidents de non-consolidation et/ou de rupture du matériel, on déplore un taux non négligeable de recours à une reprise chirurgicale (environ 10 %). L'analyse de tels résultats pousse certaines équipes chirurgicales à préconiser une ostéosynthèse préventive des hanches présentant radiographiquement les prémices, déjà évoqués, de ce type de fracture. Toujours dans cette perspective de contrer le risque d'un échec chirurgical et/ou de réduire le délai de consolidation, certaines écoles défendent le caractère apparemment bénéfique de l'instauration précoce d'un traitement par tériparatide.
Le bénéfice du doute
Il est indiscutable que de telles fractures atypiques s'observent sur une population traitée par des biphosphonates mais une corrélation n'est pas obligatoirement synonyme de causalité. In fine, ce risque fracturaire compromet-il l'utilisation de ces agents ? Ce type d'incidents restant relativement rare au sein de l'importante population traitée, le rapport bénéfice/risque des biphosphonates serait néanmoins conservé, selon une interprétation impartiale des données existantes. Les agents anti-résorption sont censés inhiber un phénomène, partie prenante de la régénération permanente du tissus osseux, afin de faire pencher l'équilibre vers plus d'ostéoformation. Ces médicaments ralentissent l'activité des ostéoclastes, souvent débridée après la ménopause, et constituent donc une composante très utilisée dans la stratégie thérapeutique de l'ostéoporose. Cette manipulation chimique du remodelage squelettique par découplage ostéoformation/ostéorésorption est susceptible de rencontrer des échecs avec la survenue et la propagation de microfractures de contraintes ou de fatigue au sein de l'édifice. La genèse de ces fractures est multivariable : activité, poids du sujet, morphotype, anatomie fémorale… Cette immense variabilité rend spéculative toute conclusion péremptoire sur une origine univoque de ces fractures pour lesquelles l'unique dénominateur commun identifié est l'utilisation prolongée de biphosphonates. Quant à la problématique de l'information des patients traités, elle réclame réflexion. L'observance des traitements antiostéoporotiques se heurtant déjà à d'importantes réticences à l'égard des biphosphonates, une mise en garde spécifique concernant les fractures atypiques ne ferait que les amplifier.
Les fractures atypiques du fémur dans la population traitée par biphosphonates méritent d'être identifiées et de bénéficier d'une surveillance épidémiologique. Pour autant décourager la population de l'usage de ces médicaments en invoquant ce risque reviendrait sans doute à « jeter le bébé avec l'eau du bain ».
Membre de la Société française de chirurgie orthopédique (SoFCOT)
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