PAR LE Pr ÉRICK LEGRAND*
CHAQUE ANNÉE, en France, l’ostéoporose est responsable de 70 000 fractures vertébrales, 60 000 fractures de l’extrémité supérieure du fémur (ESF) et 35 000 fractures du poignet. Mais elle est également associée à la survenue de fractures humérales, tibiales, sacrées, pelviennes, costales… sources de douleur, de handicap, d’hospitalisations répétées et de décès. Alors même que quatre évolutions thérapeutiques sont survenues en moins de dix ans (bisphosphonates, raloxifène, tériparatide et ranélate de strontium), seuls 30 % environ des femmes ayant une ostéoporose fracturaire reçoivent un traitement adapté, pourtant capable de réduire de 50 à 70 % le risque de fracture vertébrale et de 30 à 40 % le risque de fracture périphérique.
Mais nos efforts ne doivent pas s’arrêter au recrutement de nouvelles patientes justifiant un traitement. Chez les patientes théoriquement bien prises en charge, de nombreuses fractures surviennent sous traitement. C’est ce que démontre l’étude ICARO qui observe, chez 880 femmes suivies en moyenne deux ans (après l’instauration d’un bisphosphonate ou du raloxifène), la survenue de fractures vertébrales ou périphériques chez 25 % des patientes, avec une incidence annuelle de 8,9 % (1). Si l’on transpose les résultats de cette étude à notre pratique, cela signifie que pour un rhumatologue suivant régulièrement 50 femmes ostéoporotiques, 4 ou 5 nouvelles fractures seront observées chaque année sous traitement. Même s’il n’existe pas de définition consensuelle de l’échec thérapeutique, la plupart des auteurs considère qu’une fracture survenant sous traitement peut correspondre à cette situation d’échec.
Quelle conduite adopter dans cette situation ?
Changer de traitement sans réflexion préalable est la plus mauvaise des solutions ! Une analyse des causes précises de l’échec thérapeutique supposé s’impose.
• Bien interroger la patiente pour vérifier le caractère non traumatique de la fracture car aucune thérapeutique ne peut protéger d’une chute d’escabeau ou d’une belle glissade dans un escalier !
• Analyser les conditions de survenue des fractures périphériques ; certaines fractures du poignet ou de la cheville ne correspondent pas à des échecs du traitement mais sont liées au fait qu’aucune thérapeutique ne protège à 100 % des fractures consécutives à une chute.
• Vérifier le diagnostic initial : s’agit-il bien d’une ostéoporose ? Au moindre doute, il faut reprendre l’enquête biologique qui permettra de repérer une hyperparathyroïdie normocalcémique, une ostéomalacie par diabète phosphoré, un myélome à chaînes légères ou une autre hémopathie…
• S’assurer de l’absence de nouvelle pathologie ou de nouveau traitement : une immobilisation prolongée en réanimation, une carence en vitamine D, une chimiothérapie, une corticothérapie, un traitement anti-estrogénique ou anti-androgénique sont susceptibles d’expliquer l’évolution défavorable d’une ostéoporose par ailleurs bien traitée.
• Enfin, analyser les conditions de prise du médicament… car la majorité des échecs thérapeutiques correspondent à des traitements non pris, abandonnés au fil du temps, utilisés de façon irrégulière, ou pris non à jeun. Les études américaines et européennes montrent toutes les mêmes chiffres : deux ans après le début d’un traitement de l’ostéoporose 40 % des patientes ne le prennent plus ! Quelques questions simples et d’allure anodine permettent de repérer ces patientes qui ne prennent pas régulièrement leur thérapeutique :
- quel jour prenez-vous votre traitement ?
- à quelle heure ?
l’avez-vous arrêté en raison de troubles digestifs ?
- vous arrive-t-il de l’oublier ?
- avez-vous confiance dans ce traitement ?
Des thérapeutiques alternatives, en particulier injectables, sont possibles.
Si la fracture n’est pas de nature traumatique, si l’interrogatoire ne montre pas une nouvelle cause de perte osseuse, si la biologie renouvelée est normale et si le traitement est vraiment pris de façon régulière et adaptée… Il peut alors être tentant de changer de thérapeutique, en formulant l’hypothèse que le premier traitement choisi n’était pas assez efficace au regard de la gravité de l’ostéoporose ou en raison des mécanismes de la perte osseuse (par exemple, profonde dépression de la formation osseuse au cours de l’ostéoporose cortisonique).
L’utilisation du tériparatide chez les patientes qui ont deux fractures vertébrales est raisonnable en raison de l’efficacité bien démontrée de la molécule dans cette situation et de la bonne maintenance thérapeutique si les patientes sont incluses dans le programme de suivi (2).
Les bisphosphonates injectables constituent également une alternative crédible, en particulier quand un doute sur l’observance thérapeutique persiste (3, 4). La démonstration récente de la capacité du zoledronate à réduire la mortalité et le risque de nouvelle fracture chez des patients victimes d’une fracture de l’ESF, témoin d’une ostéoporose sévère, est un résultat particulièrement encourageant (5).
Dans toutes ces situations d’échec thérapeutique réel ou apparent, il est donc particulièrement important d’agir avec prudence : avis spécialisé indispensable, évaluation clinique complète, vérification de l’observance, contrôle des paramètres biologiques en particulier la fonction rénale et la concentration sérique de la 25 hydroxyvitamine D, information complète de la patiente pour favoriser sa participation active à la démarche thérapeutique.
*Service de rhumatologie, CHU d’Angers
(1) Adami S et coll. J Bone Miner Res 2006; 21:1565-1570.
(2) Neer RM et coll. N Engl J Med 2001;344:1434-1441.
(3) Black DM et coll. N Engl J Med. 2007;356:1809-1822.
(4) Adami S et coll.Bone 2004;34:881-889.
(5) Lyles KW et coll.N Engl J Med 2007;357:nihpa 40967.
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