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Dossier

32e Congrès français de rhumatologie

Rhumato, retour aux fondamentaux

Publié le 10/01/2020
Rhumato, retour aux fondamentaux

Dos
SCIEPRO/SPL/PHANIE

Alors que la Société française de rhumatologie soufflait cette année ses 50 bougies, son congrès annuel (Paris, 8-10 décembre) a été l’occasion de revenir sur des sujets de rhumatologie courante comme le traitement de la goutte, les douleurs de croissance ou encore les lombalgies post-chirurgicales.

Lombo-radiculalgies, quand la douleur persiste après l’opération

Alors que la chirurgie des lombalgies est très souvent attendue comme la garantie d’une délivrance définitive de la douleur par les patients, ils sont 8 à 40 % à se plaindre de lombo-radiculalgies post-opératoires. Ces chiffres diffèrent selon le type de chirurgie, les antécédents et le contexte pro-opératoire locale et général.

Le cadre nosocomial des douleurs post-opératoires est particulièrement hétérogène : en effet, il peut ou non exister un intervalle libre, les douleurs peuvent être du même type que celles ressenties en préopératoire ou être différentes, la topographie peut être locale ou régionale, et la typologie variée (continues, inflammatoires, intermittente, mécaniques).

Si les douleurs surviennent immédiatement en post-opératoire, il est avant tout nécessaire de confirmer l’absence de complications telles qu’un hématome ou une infection. En dehors de ces complications, trois grands types de douleurs sont décrits en post-opératoire : les douleurs nociceptives (mécaniques et positionnelles), les douleurs neuropathiques (allodynie, paresthésies et hypoesthésie) et les douleurs nociplastiques (musculo-tendineuses diffuses favorisées par l’anxiété et la présence d’autres douleurs). Chacune devra être pris en charge de façon spécifique : ainsi, les douleurs nociceptives peuvent être améliorées par des infiltrations ; des molécules telles que la fluoxétine, la venlafaxine, la gabapentine, la prégabaline, le tramadol peuvent être proposées en cas de douleurs neuropathiques. Quant aux douleurs nociplastiques, elles peuvent être combattues par l’exercice, éventuellement encadré par de la kinésithérapie voire par une inclusion dans un programme de réentraînement pluridisciplinaire qui permet un apprentissage de techniques de relaxation (hypnose, méditation de pleine conscience, sophrologie).

Les douleurs de croissance, mythe ou réalité ?

Un enfant sur 5 présenterait des douleurs dites « de croissance », entre 5 et 13 ans, qui se manifesteraient au moins une fois par semaine pour 45 % des enfants. Généralement, ces douleurs ostéo-articulaires chroniques bilatérales intéressent les membres inférieurs (mollets, tibias et plus rarement cuisses) et sont à l’origine de pleurs pour les plus jeunes et de troubles du sommeil chez les plus âgés. Elles sont majorées par la pratique du sport et à l’origine d’un absentéisme scolaire. Avec le temps, elles s’atténuent mais chez certains enfants à phénotype de seuil de tolérance à la douleur bas (dont l’origine est encore inconnue), il est possible que le phénomène soit prolongé dans le temps.

« Même si on peut douter de la réalité des douleurs dites de croissance – dont aucune preuve osseuse physiopathologique n’a été prouvée – il s’agit d’une plainte fréquente qu’il faut savoir écouter, souligne le Dr Rose-Marie Javier (Strasbourg), et il est indispensable d’interroger les enfants, de les examiner et d’éliminer les autres diagnostics différentiels ».

Il est en effet essentiel de ne pas passer à côté d’autres diagnostics tels que, pour les formes bilatérales, le syndrome des jambes sans repos, la fièvre familiale méditerranéenne, des maladies métaboliques type maladie de Fabry. En cas d’atteinte unilatérale, il faut évoquer les tumeurs osseuses, des pathologies rares telles que les dysplasies fibreuses mono-ostéotiques ou des fractures de fatigue. « Avec la pratique intensive de sport qui est souvent proposée aux jeunes en phase de croissance, le risque de fracture de fatigue (qui sont parfois même bilatérales) est important. Pendant les 4-5 années qui encadrent la puberté, en effet, le corps acquiert 90 % de sa masse osseuse. Or, la fixation du calcium est décalée d’une année par rapport à la vitesse de croissance de la masse maigre, ce qui entraîne une fragilité osseuse », continue le Dr Javier. Radiographie, scintigraphie ou scanner doivent être réalisés en présence d’une douleur unilatérale de réveil, d’une boiterie, d’une rougeur ou une sensibilité de la peau.

En l’absence de signes de gravité, l’interrogatoire peut retrouver une expression familiale de ces douleurs ou une hyperactivité extrascolaire. Outre les examens radiographiques à réaliser au moindre doute, il est licite de prescrire un bilan biologique comprenant une NFS, une CRP et, chez les enfants à risque (habitant en zone peu ensoleillée, maladies inflammatoires chroniques…), un dosage de la vitamine D (indispensable pour l’acquisition du pic de masse osseuse).

La supplémentation en vitamine D (600 UI/j de vitamine D entre 1 et 18 ans) doit être systématique (elle permet une baisse des douleurs) et des mesures non pharmacologiques peuvent être proposées : massages de jambes, bouillotte, bains avant le couchage, évitement des sports à impact important, antalgiques ou stretching musculaire.
 

Goutte : traiter plus tôt pour traiter moins fort

Lors du 32e congrès de la Société française de rhumatologie, le Pr Thomas Bardin (hôpital Lariboisière, Paris) a présenté les grandes lignes des prochaines recommandations de la société savante sur le traitement de la goutte.

Pour le traitement de crise, la colchicine reste le médicament de première intention. Dans la lignée des guidelines européennes de 2016, la nouvelle feuille de route a revu à la baisse les doses préconisées avec désormais un schéma de 1 mg initialement, 0,5 mg une heure plus tard puis 0,5 mg 2 à 3 fois par jour, selon l’évolution. L’immobilisation, le glaçage et les antalgiques sont aussi nécessaires. En cas de contre-indication à la colchicine (insuffisance rénale, hépatique ou prise de médicaments tels que les macrolides ou la ciclosporine), des AINS (couplés à des IPP) ou de la corticothérapie orale (30 à 35 mg/j pendant 3 à 5 jours) peuvent être prescrits en alternative. En cas de crises fréquentes et lorsque la colchicine et les AINS sont contre-indiqués (insuffisance rénale), un inhibiteur de l’IL1 peut être initié à l’hôpital. Le traitement doit être débuté idéalement dans les 12 heures suivant le début de la crise, ce qui permet d’avoir une meilleure efficacité avec de plus faibles posologies.

L’autre nouveauté de ces recommandations est l’instauration d’un traitement hypo-uricémiant dès la première crise sous couvert d’une protection des rechutes par de la colchicine pendant 6 mois environ à faibles doses (0,5 à 1 mg/j). Il permet d’éliminer le stock d’urate et de limiter l’apparition des comorbidités. La cible thérapeutique est une uricémie à 360 µmmol/l, voire 300 µmmol/l. Le choix du traitement dépend de la fonction rénale : si elle est normale, l’allopurinol est privilégié (50-100 mg/j puis augmenté par palier de 50-100 mg toutes les 2-4 semaines jusqu’à atteinte de l’uricémie cible). L’allopurinol doit être prescrit avec prudence en dessous de 60 ml/min/1,73m² et ne doit pas être prescrit en dessous de 30 ml/min/1,73m². Le fébuxostat est alors le traitement de choix (sauf en cas de maladie cardiovasculaire sévère).

Enfin l’éducation thérapeutique est placée en avant : le patient doit savoir que le traitement de la crise doit être administré dès les premiers signes et qu’une ordonnance lui sera délivrée afin qu’aucun délai ne retarde la prise en charge en cas de nouvelle crise. Il doit être prévenu du risque de crise au moment de l’initiation du traitement hypo-uricémiant. Par ailleurs, il doit être informé des risques liés à la goutte, qui outre son effet articulaire destructeur, est associée à une augmentation de la morbidité cardio-vasculaire (RR 1,4 à 1,5), et rénale. Or par méconnaissance de ces risques, la moitié des patients ne poursuivent pas leur traitement hypo-uricémiant au-delà des 12 premiers mois. L’accent doit aussi être mis sur les mesures hygiéno-diététiques.

Rhumatismes inflammatoires, les régimes sont-ils la solution ?

Alors que 25 % des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde déclarent que certains aliments influencent leurs symptômes voire provoquent des poussées, qu’en disent les études ? Force est de constater que les données dans ce domaine restent limitées et parfois même contradictoires. L’analyse de la littérature montre qu’aucun régime d’exclusion n’a prouvé son effet sur les maladies rhumatismales, et qu’ils pourraient même se révéler délétères par les carences nutritionnelles et les troubles du comportement alimentaire induits. Si les régimes cétogènes et végétaliens sont déconseillés, le régime méditerranéen et l’ajout d’oméga-3 ont, dans des essais contrôlés, amélioré les douleurs des patients rhumatologiques.
Quant à la chirurgie bariatrique, son effet a rarement été évalué en rhumatologie. L’analyse de la cohorte suédoise SOS suivie sur 25 ans conclut à une absence d’effet sur le rhumatisme psoriasique et la PR.


Dr Isabelle Catala

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