« Nous sommes toujours préoccupés par le risque de pénurie de corticoïdes injectables. Il s’agit d’un outil thérapeutique très important en rhumatologie. Chaque année environ, trois millions d’infiltrations sont faites avec ces produits injectables. Et nous les utilisons au quotidien pour des pathologies diverses et variées, comme l’arthrose, les rhumatismes, les pathologies périarticulaires ou rachidiennes », explique le Dr Pascal Chazerain, chef du service de rhumatologie du Groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon à Paris.
Cela fait plus d’un an que les rhumatologues montent au créneau pour alerter sur les pénuries répétées concernant les corticoïdes, quelles que soient leurs modalités d’administration. D’autant plus que ces tensions d’approvisionnement peuvent augurer de l’arrêt de fabrication. En mai 2019, toutes les instances représentatives de la rhumatologie avaient lancé l’alerte dans un communiqué commun. Elles précisaient que les formes injectables de corticoïdes sont nécessaires pour le traitement de pathologies articulaires ou périarticulaires d’origine inflammatoire ou dégénérative, ayant un fort impact sur les capacités fonctionnelles des malades et leur qualité de vie, avec un retentissement personnel et sociétal très élevé. « Elles permettent aussi d’éviter l’usage des corticoïdes sous forme orale et des anti-inflammatoires non-stéroïdiens, plus iatrogènes, notamment chez les patients âgés, conformément à l’ensemble des recommandations », ajoutaient-elles.
Un prix très bas source de tensions
Selon le Dr Chazerain, on peut avancer plusieurs explications à cette pénurie. « Ces corticoïdes par voie injectable sont vendus en France à des prix très bas, entre 2 et 9 euros l’ampoule. C’est un avantage mais aussi un inconvénient car les laboratoires ne sont pas toujours très motivés pour poursuivre la production de ces produits qui ne leur rapportent pas grand-chose. Du coup, dès qu’ils rencontrent un problème dans le process de fabrication, de conditionnement ou que certains critères imposés par leur cellule qualité ne sont plus valides, les firmes choisissent d'arrêter purement et simplement la production. Financièrement, ils estiment que cela ne vaut pas la peine d’investir dans une nouvelle chaîne de fabrication. Et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ne peut pas empêcher le laboratoire de cesser la production, ni le contraindre à produire davantage un médicament, à partir du moment où existent encore sur le marché des produits équivalents ».
Il y a une vingtaine d’années, on recensait une dizaine de produits sur le marché. « Mais de manière très régulière, on a vu disparaître les uns après les autres toute une série de molécules qui nous étaient très utiles. Et aujourd’hui, nous n’en avons plus que trois à notre disposition, qui ne sont pas forcément interchangeables pour soigner telle ou telle pathologie », indique le Dr Chazerain. C’est ce même constat que faisaient en mai 2019 les instances de la spécialité.
Un risque de disparition des produits
« La situation actuelle est grave alors que l’on est confronté à la fois à des tensions d’approvisionnement des corticoïdes oraux, prednisone et prednisolone, et des ruptures de stock du Diprostène et du Célestène Chronodose, suspensions injectables de bétaméthasone. La rupture de stock initialement prévue jusqu’à la mi-mai est maintenant étendue jusqu’au début de l’année 2020. Tout ceci rappelle ce qui s’est passé en 2017 avec l’Altim (cortivazol), et a finalement abouti à sa disparition », soulignaient alors syndicats et sociétés savantes. « Il est donc particulièrement choquant d’apprendre dans ce contexte difficile le retrait programmé du Kénacort retard mi 2021. Ceci va réduire encore les alternatives thérapeutiques, après le retrait récent de l’Altim et d’autres spécialités (tel le Dilar) ou le non-remboursement d’autres formes (tel le Depomédrol). De plus, la pression va encore s'accroître sur les quelques corticoïdes injectables restant disponibles sur le marché et déjà en situation de rupture, avec un risque de spirale de disparition de cette classe de produits. Nous voulons souligner par ailleurs que leurs propriétés pharmacologiques différentes n’en font pas de strictes alternatives au sein de cette classe », signalaient les instances.
Selon le docteur Chazerain, il reste encore possible actuellement de traiter tous les patients. « Les tensions d’approvisionnement que nous avons connues à l’été 2019 se sont un peu apaisées. Mais nous restons préoccupés par le fait que nous n’avons plus que trois molécules à notre disposition, indique-t-il. Une des solutions pourrait être une réévaluation du prix de ces corticoïdes injectables, et de leur attribuer le statut de médicament d’intérêt thérapeutique majeur, permettant la constitution d'un contingentement ».
D’après un entretien avec le Dr Pascal Chazerain, chef du service de rhumatologie du Groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon (Paris)
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024