Douleur et maladies neurologiques, le cercle vicieux

Publié le 01/12/2017
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Migraine, douleur musculo-squelettiques, etc. Au-delà des douleurs neuropathiques proprement dites, de nombreuses affections neurologiques engendrent des symptômes douloureux qui eux-mêmes peuvent aggraver l’évolution de la maladie. Un cercle vicieux mis en exergue lors du dernier congrès français de la douleur.
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Crédit photo : SPL/PHANIE

Parce qu’elles sont fréquentes, qu’elles impactent le quotidien des patients et qu’elles peuvent même interférer avec l’évolution de la pathologie, les douleurs en lien avec la maladie de Parkinson, la SEP ou encore la maladie d’Alzheimer sont de plus en plus prises en considération. Le récent congrès de la société française d’étude et de traitement de la douleur (Nice 16-18 novembre) n’a pas fait exception, avec toute une session consacrée à cette question.

Maladie de Parkinson : des douleurs protéiformes

80 % des parkinsoniens ont des douleurs physiques, et ce symptome est fréquement un signe d’entrée dans la maladie, voire un signal avant-coureur. En effet, dans près d’1/3 des cas, elles précèdent les symptômes moteurs, parfois de plusieurs années.

Ultérieurement, les localisations douloureuses se multiplient tout au long de l’évolution.
Elles peuvent être le fait des symptômes moteurs de la maladie : douleurs musculo-squelettiques (41 %) avec crampes, raideurs douloureuses (cou, muscles paravertébraux, mollets), péri-articulaires (épaules), neuro-radiculaires (22 %) ou dystoniques (17 %) avec contractures des orteils ou des mains et dyskinésies. Elles peuvent aussi être secondaires à des modifications fonctionnelles des mécanismes de transmission et d’intégration de la nociception liées aux lésions cérébrales de la maladie de Parkinson comme les douleurs centrales (22 %). Plus difficiles à identifier (picotements, brûlures, douleurs lancinantes) et particulièrement pénibles, ces douleurs neuropathiques centrales touchent préférentiellement le membre le plus affecté par la maladie mais peuvent aussi concerner l’abdomen avec nausées, sudation profuse, ou la région orofaciale.

La perception douloureuse est altérée chez le patient parkinsonien, avec un abaissement des seuils subjectifs. Le dysfonctionnement du striatum (par perte de l’innervation dopaminergique provenant de la substance noire) explique pour partie cette particularité, nettement plus marquée du côté le plus atteint par la maladie. Cette anomalie du seuil douloureux est d’ailleurs corrigée par la L-Dopa.

La physiopathologie des douleurs est donc directement liée aux anomalies du système dopaminergique mais aussi à des perturbations des systèmes noradrénergiques et opioïde, qui possèdent de nombreux récepteurs dans le striatum. La stimulation cérébrale profonde des noyaux sous–thalamiques, dont les effets sont parfois spectaculaires sur les symptômes moteurs, corrigerait le seuil nociceptif en agissant sur les systèmes de transmission de la douleur et diminuerait les souffrances cliniques.

SEP et migraine, une association classique

Environ 50 % des patients atteints de sclérose en plaques (SEP) ont des céphalées et plus de 30 % des douleurs neuropathiques. L’intensité et la fréquence de ces souffrances génératrices d’asthénie et de troubles anxiodépressifs, ont un impact majeur sur la qualité de vie, considéré par les sujets comme plus sévère que les troubles moteurs.

Les céphalées et les migraines semblent plus fréquentes dans les premières années d’évolution, peut-être liées aux poussées inflammatoires du système nerveux central et/ou à des atteintes du tronc cérébral. SEP et migraines entretiennent d’ailleurs un lien bidirectionnel : l’une accroît le risque de l’autre.

Les douleurs neuropathiques peuvent être le fait de neuropathies centrales continues ou intermittentes (signe de Lhermitte par atteinte des cordons postérieurs, névralgie du trijumeau). Enfin, les douleurs peuvent être iatrogènes comme les myalgies provoquées par les interférons.La prise en charge repose sur les mêmes thérapeutiques que celles proposées dans la population générale et est fonction de la sémiologie. S’intéresser à la fois à la composante inflammatoire de la maladie avec des traitements spécifiques et à la douleur est d’autant plus important qu’il existe un lien bidirectionnel entre douleur et évolution de la maladie.
 

D’un opioïde à l’autre Chez les patients cancéreux nécessitant des opioïdes au long cours, le dogme de la rotation systématique est remplacé par le changement en cas de nécessité (optimisation de l’antalgie, limitation des phénomènes de tolérance ou des effets secondaires, nécessité de changements de voies d’administration). À partir de janvier 2018, l’application smartphone OPIOCONVERT permettra de changer de produits et/ou de voies d’administration avec une sécurité maximale.


43 % des consultations en médecine générale seraient motivées par des douleurs dont 25 % sont chroniques.

La surconsommation d’opioïdes n’épargne pas la France Selon une analyse rétrospective des bases de données de l’Assurance maladie et du CepiDC, entre 2004 et 2015, en France, l’usage des antalgiques opioïdes faibles a diminué de 12 % alors que celui des opioïdes forts a augmenté de 74 %, avec une hausse de 128 % des hospitalisations et de 161 % des décès liés à une overdose d’opioïdes prescrits.

Démences : des douleurs à déchiffrer

La problématique de la douleur chez les patients atteints d’Alzheimer ou de maladies dégénératives apparentées (démences à corps de Lewy ou fronto-temporales) est principalement le fait de difficultés de communication : ne pas dire la douleur n’est pas moins souffrir. Pour éviter sa sous-estimation, l’utilisation des échelles d’auto-évaluation est préférable à celles d’hétéro-évaluation, tant que cela est encore possible, en analysant les résultats à l’aune des déficits cognitifs et en les adaptant aux stades de détérioration.

Car des particularités du ressenti et de l’expression de la douleur semblent bien exister chez les patients atteints. Des travaux récents d’imagerie cérébrale mettent ainsi en parallèle les lésions anatomiques des démences avec la matrice douleur (ensemble des régions du cerveau dont l’activité varie lors d’une expérience douloureuse) ainsi qu’avec l’implication des systèmes de contrôle endogène. Tout se passant comme si la perturbation principale résidait dans les troubles de l’intégration de la douleur. Rien d’étonnant à ce que, dans ces affections où les perturbations des différentes formes de mémoire sont centrales, la compréhension, le ressenti et l’expression des douleurs revêtent des formes particulières, souvent désarçonnantes pour l’entourage, y compris les soignants.Une recherche de solutions thérapeutiques adaptées est d’autant plus nécessaire que troubles cognitifs et douleurs entretiennent des liens étroits : le risque de déclin mnésique augmente avec la présence de douleurs physiques et réciproquement.
 

La douleur chronique, facteur de risque de suicide avéré

Comme l’a rappelé le Dr Émilie Olié (Montpellier) lors du congrès, la douleur chronique est un facteur de risque de suicide avéré. De fait, 30 % des patients douloureux chroniques ont à un moment ou à un autre de leur vie des idées de suicide et 15 % d’entre eux font une tentative de suicide - TS - (trois fois plus que dans la population générale). Le risque de suicide abouti est multiplié par neuf chez les lombalgiques chroniques.

L’évaluation spécifique et systématique des idées suicidaires chez les patients douloureux chroniques apparaît d’autant plus indispensable que la vulnérabilité au suicide pourrait être liée à une hypersensibilité à la douleur physique et psychologique médiée par le système opioïde.

Évaluer la souffrance psy L’augmentation de la prescription d’opioïdes forts dans les douleurs chroniques non cancéreuses doit alerter et faire évoquer un mésusage pouvant témoigner d’une souffrance psychologique sous-jacente. En attestent plusieurs études, dont une réalisée chez des vétérans américains montrant un risque suicidaire doublé en cas de prescription d’opioïdes.

Évaluer systématiquement la souffrance psychologique et le sentiment d’exclusion sociale chez les sujets douloureux chroniques permet d’identifier le risque suicidaire et, partant, de limiter le risque de mésusage avec les antalgiques opioïdes. Les TS semblant étroitement liées à l’intensité et la fréquence de la douleur psychologique, indépendamment de la dépression.

Chez des patients ayant des douleurs physiques chroniques, l’efficacité de la kétamine sur la réduction des idées suicidaires n’est pas seulement liée à l’effet antidépresseur mais aussi à l’effet antalgique.

D'après les communications des Drs Christine Brefel-Courbon (Toulouse), Xavier Moisset (Clermont Ferrand) et du Pr Laurent Bernard Laurent (Saint-Étienne)

Dr Caroline Martineau

Source : lequotidiendumedecin.fr