« L’utilisation prédictive des données du génome en matière de traitement et de prévention rend nécessaire une réflexion médicale élargie aux dimensions éthique, législative et économique et doit faire l’objet d’une réflexion sociétale. » Propos du Pr Pascal Pujol, président de la Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP) et chef de service oncogénétique du CHU de Montpellier, lors du 4e congrès de la société savante organisée à Paris les 29 et 30 juin derniers.
Médecine prédictive appliquée au cancer du sein
Évaluer le risque de récidive d’une tumeur, estimer l’efficacité du traitement à déployer pour l’en empêcher, c’est toute la difficulté, quand on découvre un cancer du sein à l’une des 54 000 femmes diagnostiquées chaque année en France. À qui doit-on donner un traitement par chimiothérapie ? La question ne se pose pas pour 30 % des femmes qui ont un cancer agressif avec surexpression de HER2 ou absence de récepteurs hormonaux (cancers du sein triple négatifs). La question se pose chez 50 % des femmes à qui l’on découvre un cancer du sein de petite taille, localisé, sans envahissement ganglionnaire et hormonodépendant.
Les signatures génomiques des tumeurs parlent…
Les puces à ADN, retombées directes du séquençage du génome humain, ont révolutionné la recherche sur le cancer du sein. En effet, grâce à l’essor des techniques de séquençage à haut débit, six signatures génomiques, combinaison d’expressions des gènes, dont 4 accessibles en pratique courante (Pam50-Prosigna TM, Endopredict, Mammaprint et Oncotype DX), ont été développées. Ainsi, en mesurant l’expression d’un panel d’un certain nombre de gènes dans la tumeur, on peut établir un score de récurrence et ainsi prédire l’inutilité de certaines chimiothérapies adjuvantes pour un nombre important de patientes présentant un cancer du sein localisé. « Pour le clinicien, a indiqué le Pr Pujol, l’information la plus importante, au-delà de l’information pronostique, est de pouvoir préciser, grâce à une signature génomique et la valeur prédictive de ses marqueurs, l’intérêt d’un traitement ou son inutilité. »
Seules deux signatures d’expression multigéniques, Mammaprint et Oncotype DX, ont été évaluées dans une étude prospective de l’évaluation de l’intérêt du test, pour décider de la nécessité d’une chimiothérapie. L’étude Mindact-Mammaprint (1) n’a pas permis de conclure à l’absence d’intérêt de la chimiothérapie.
Focus sur la signature d’expression multigénique à 21 gènes
Les résultats de l’étude randomisée TAILORx [pour Trial Assigning Individualized Options for Treatment (Rx)] (2) dévoilés en séance plénière au congrès de l’ASCO cette année confirment les premières données présentées lors du congrès européen du cancer en 2015 (3): cette étude apporte une réponse scientifique de poids de l’intérêt d’utiliser le test Oncotype DX (voir encadré1) basé sur une signature d’expression multigénique (21 gènes) chez des femmes dont le cancer se situe dans une zone grise définie par le test lui-même (score intermédiaire entre 11 et 25), pour lesquelles la chimiothérapie adjuvante n’apporte pas de bénéfice en termes de survie : douze ans après le début de l’étude, 93,9 % des patientes sous traitement anti-hormonal seul, sont toujours en vie contre 93,8 % dans le groupe ayant reçu en plus une chimiothérapie. C’est le plus grand essai thérapeutique jamais réalisé en cancérologie, ayant inclus 10 273 femmes présentant un cancer du sein hormonodépendant et suivies pendant 12 ans. « C’est le premier exemple de désescalade thérapeutique. »
La démarche éthique : quelles femmes peuvent en bénéficier ?
Le Pr Joseph Gligorov (oncologue à l’hôpital Tenon, Paris) exprime deux bémols : le premier, chez les femmes de moins de 50 ans avec un score intermédiaire haut (compris entre 16 et 25), la chimiothérapie reste plus bénéfique ; le second est de définir la population cible de ce test : parmi les quelque 30 000 cancers du sein hormonodépendants diagnostiqués chaque année, combien de femmes tireraient bénéfice d’une signature génomique de leur tumeur, permettant éventuellement d’échapper à la chimiothérapie ? Cette question est un enjeu de santé publique majeur auquel aucune étude n’a répondu à ce jour.
Quatre signatures génomiques devaient être inscrites au référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN) au printemps 2016, assurant ainsi leur prise en charge par les établissements, en attendant un éventuel remboursement. Mais cela n’a toujours pas été fait. La Haute Autorité de santé (HAS) s'est autosaisie du sujet début 2018, « ce qui devrait faire bouger les lignes et rendre l'outil plus accessible », espère le Pr Pujol.
Références : Sparano J. A. et al. Adjuvant Chemotherapy Guided by a 21-Gene Expression Assay in Breast Cancer. N Engl J Med 2018; 379:111-121. 2. Sparano J. A. et al. A 21-Gene Expression Assay in Breast Cancer. N Engl J Med 2016; 374:1385-1387
D’après les communications et à la conférence de presse organisées dans le cadre du congrès de médecine génomique-Prévention et innovation thérapeutique. Sommes-nous prêts pour une médecine personnalisée ?
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