« The magic bullet »... En 2001, le « New York Times » faisait ses gros titres sur le Glivec, voyant dans cette première thérapie ciblée orale – tout juste autorisée par la FDA – l’avènement d’une nouvelle classe thérapeutique à même de vaincre le cancer.
Presque 15 ans plus tard, les thérapies ciblées ont-elles tenu leurs promesses ? « La question est compliquée », répond le Pr Agnès Buzyn, présidente de l’INCa. Car si ces médicaments ont constitué un vrai progrès et restent une voie de recherche prometteuse, l’enthousiasme des premiers temps a désormais cédé la place à un optimisme plus tempéré. Avec au sein de la communauté scientifique, de plus en plus de questions portant sur les problèmes de résistances et un intérêt croissant pour les autres voies de recherche comme l’immunothérapie ou la thérapie génique.
Un espoir démesuré
Depuis le début des années 2000, les thérapies ciblées se sont pourtant multipliées. Selon l’INCa, fin 2013,
34 molécules (dont 20 inhibiteurs de tyrosine kinase et apparentés et 14 anticorps monoclonaux) avaient une AMM en cancérologie, dans près de 30 indications différentes. Outre l’hématologie, le cancer du sein a particulièrement bénéficié du phénomène. Dans les tumeurs HER2 + par exemple, l’arrivée du trastuzumab (un anticorps monoclonal dirigé contre certains récepteurs HER2) a permis de réduire de 50 % le risque de récidive. Les cancers digestifs (cancer du côlon notamment) et les tumeurs pulmonaires ont aussi tiré leur épingle du jeu. Mais dans toutes ces pathologies, seule une minorité de patients présentant la mutation ciblée sera concernée. Et les résultats spectaculaires du Glivec – qui autorise un taux de survie proche de 90 % dans la leucémie myéloïde chronique – n’ont jamais été reproduits.
En fait, « la LMC était un mauvais modèle et a suscité un espoir démesuré par rapport aux thérapies ciblées, explique le Pr Buzyn, car il s’agit d’une maladie monogénique, pour laquelle le mécanisme moléculaire responsable de la transformation maligne ne dépend que d’un gène alors que la plupart des autres tumeurs résultent de multiples anomalies moléculaires successives ».
Échappement thérapeutique et résistances
Lorsqu’on bloque une seule voie de signalisation on empêche donc une partie du processus tumoral mais pas la totalité. Résultat : même si on cible une voie de signalisation qui paraît déterminante initialement, un clone résistant va émerger de la tumeur à partir d’autres cellules qui auront muté d’autres voies de signalisation. Avec, à la clé, « un phénomène d’échappement quasiment “ physiologique ” et inévitable au bout de quelques mois », indique le Pr Buzyn.
Par ailleurs, même lorsque la voie de signalisation ciblée reste active et prépondérante, certaines cellules peuvent présenter une mutation qui leur confère une résistance aux inhibiteurs de la cible. Ces mutations ne sont pas induites par les thérapies ciblées, mais leur émergence est favorisée par la pression de sélection exercée par le traitement, « un peu à la manière de l’antibiorésistance », explique le Pr Olivier Chinot (Marseille) qui est intervenu sur ce thème lors du dernier Congrès de la Société Française de Cancérologie.
Chercher la cible
Plus prosaïquement, le concept de thérapie ciblée se heurte aussi aux limites actuelles de la science et aux réalités de terrain. Par exemple, « on sait que de nombreuses tumeurs présentent une anomalie de la protéine P53, mais on ne sait pas pour le moment cibler cette voie de signalisation ».
Autre exemple : alors que l’on a pu identifier un certain nombre de gènes candidats intervenant dans la phase d’invasion tumorale, la recherche de molécules ciblant ces gènes reste difficile « car ils interviennent aussi dans d’autres processus physiologiques comme la coagulation », explique le Pr Olivier Chinot.
Dans d’autres cas, la difficulté vient de la localisation du cancer qui complique l’accès à la tumeur et limite les possibilités de prélèvements. À l’instar du gliome pour lequel de nombreuses anomalies moléculaires ont été mises en évidence mais dont la recherche chez un patient donné reste très difficile en pratique.
Enfin, pour de nombreux cancers, l’heure est encore à chercher la cible. Par exemple, « on connaît assez mal les anomalies moléculaires en cause dans les tumeurs pédiatriques, illustre le Pr Buzyn, et il semblerait d’ailleurs qu’il y en ait moins ».
Des traitements redéfinis
Dans ce contexte, la façon d’appréhender les thérapies ciblées a singulièrement évolué. Loin de l’arme fatale espérée initialement, les thérapies ciblées font désormais figure «de médicaments parmi d’autres au sein de l’arsenal thérapeutique anticancer. Ils ajoutent des briques à l’édifice thérapeutique mais sans supprimer complètement et définitivement toutes les tumeurs existantes ».
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À l’avenir, la tendance devrait donc être à l’utilisation de plusieurs thérapies ciblées de façon consécutive voire simultanée. « On va faire tourner les médicaments au fur et à mesure des échappements ou les associer les uns aux autres pour bloquer plusieurs voies de signalisation », dépeint le Pr Buzyn. Une approche plutôt payante si l’on en croit les résultats de l’étude Cleopatra. Salué comme une avancée majeure lors du récent Congrès européen de cancérologie, ce travail mené chez des femmes porteuses d’un cancer du sein HER2-positif métastatique, montre que l’association de deux anticorps monoclonaux (le trastuzumab et le pertuzumab), en sus de la chimiothérapie classique, permet un gain de survie de plus d’un an.
De la génétique à l’épigénésique
De façon un peu paradoxale, le salut des thérapies ciblées pourrait donc venir… de la multiplication des thérapies ciblées ! « Maintenant l’espoir repose dans le développement de nouvelles thérapies ciblées », confirme le Pr Buzyn alors que près de 900 molécules seraient dans les pipelines.
Avec, notamment, un nouveau type de recherche qui ne s’intéresse plus aux anomalies génétiques proprement dites mais qui cible les anomalies épigénésiques intervenant dans la régulation des gènes et notamment leur transcription.
En parallèle, les patients devraient aussi bénéficier de screenings génétiques de plus en plus élargis, à la recherche d’anomalies moléculaires multiples, bien au-delà de celles classiquement recherchées à l’heure actuelle.
Annoncé dans le dernier Plan cancer, le mouvement est déjà en marche avec le développement de protocoles de recherche clinique « transorganes », comme le programme AcSé de l’INCa. L’objectif est de proposer aux patients atteints de cancers et en situation d’échec thérapeutique, des thérapies ciblant les mutations génétiques présentes dans leur tumeur indépendamment de l’organe concerné et de l’AMM officielle des traitements.
L’écueil du prix
Reste à savoir si l’Assurance Maladie aura les épaules assez larges pour suivre le rythme sur le plan financier. « Au niveau organisationnel ces évolutions ont été anticipées et budgétées par le Plan cancer, rassure le Pr Buzyn. En revanche, la multiplication annoncée des thérapies ciblées et l’extension de leurs indications risquent vite de devenir problématiques si leur prix ne baisse pas… »
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