La Chine et les États-Unis sont les premiers pays à avoir réalisé des xénotransplantations sur des patients vivants. La France, malgré une activité d’expérimentation florissante par le passé, en est encore loin. Entre des prix exorbitants et des temps de trajet trop longs, il est impensable de se fournir en xénogreffons auprès des États-Unis. Pour garantir la souveraineté sanitaire nationale, un collectif nommé Xenocure se construit et rassemblera les acteurs de l’écosystème : médecins, chirurgiens, instituts de recherche, éleveurs et vétérinaires.
« Nous sommes collectivement impatients de faire avancer le consortium en apprenant de nos erreurs passées. Nous devons d’emblée réfléchir à comment transposer la recherche au patient », déclare le Pr Olivier Thaunat, professeur en néphrologie et immunologie de la transplantation aux Hospices civils de Lyon et, à partir de juin 2025, président de la Société européenne pour la transplantation d’organes (Esot). Le consortium interagira avec les agences de régulation et les sociétés savantes : Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), Agence de la biomédecine, Académie de médecine, Comité consultatif national d’éthique.
Des règles éthiques différentes ne veulent pas dire que nous sommes dépassés
Pr Gilles Blancho, directeur de l’Itun au CHU de Nantes
Les États-Unis, soumis à des règles éthiques plus souples que l’Europe, ont avancé rapidement en expérimentant la xénogreffe sur des patients en situation de mort encéphalique. Pour autant, « des règles éthiques différentes ne veulent pas dire que nous sommes dépassés. La France, à travers ses CHU, la formation et la recherche, est riche en compétences médicales », revendique le Pr Gilles Blancho, professeur d’immunologie et directeur de l’Institut transplantation urologie néphrologie (Itun) du CHU de Nantes, à l’occasion d’un point presse. Mais pour se remettre dans la course, « nous avons besoin d’une dynamique collective », défend-il.
Un usage averti de la xénotransplantation
« La xénogreffe n’a pas vocation à remplacer la totalité des greffes allogéniques. Il faut l’intégrer intelligemment, là où elle répond à un besoin », clarifie le Pr Blancho. Ainsi, la xénogreffe de cellules souches sécrétrices d’insuline trouve son intérêt pour les patients avec un diabète sévère mais pas nécessairement chez ceux qui contrôlent bien leur glycémie avec une pompe à insuline à boucle fermée, qui ne cesse de se perfectionner avec les progrès de l’intelligence artificielle. Autre exemple : plutôt qu’une xénotransplantation pancréatique, à risque plus élevé de rejet (organe vascularisé), la greffe d’îlots semble plus intéressante. « Un travail essentiel du consortium est de déterminer quel patient pour quelle greffe », indique le Pr Blancho. Du côté de la greffe pédiatrique, le contrôle de la croissance des organes porcins n’est pas encore au point pour s’adapter au développement de l’enfant.
L’utilisation d’organes porcins trouve toute sa place dans les situations d’urgence. Un patient pourrait être transitoirement transplanté en attendant un greffon humain. Un concept connexe à la xénogreffe, nommé « bridging » suscite aussi l’intérêt. Essentiellement applicable au foie en cas d’insuffisance hépatique aiguë, la technique consiste à « brancher » la circulation sanguine du patient sur un foie porcin (comparable à une dialyse hépatique) en situation extracorporelle le temps que l’organe propre au patient se régénère.
Éviter le rejet ou se défendre contre les virus porcins : une délicate balance
L’enjeu principal de la xénogreffe concerne l’immunologie des organes vascularisés, à risque plus élevé de rejet. De plus, certains organes produisent des molécules potentiellement immunisantes, en particulier le foie qui relargue des facteurs de coagulation porcins. Les avancées récentes dans l’édition de génome, notamment Crispr-Cas9, permettent d’aller plus loin dans la création d’animaux transgéniques et de résoudre les problèmes de distance génétique interespèces. En éditant le génome porcin avec les techniques de knock-out (KO, invalidation de gènes indésirables) et de knock-in (KI, insertion de gènes humains), il est possible de contrer les mécanismes de rejet, à présent connus.
Les anticorps humains dirigés contre le porc augmentent le risque de rejet d’organes vascularisés, mais les supprimer rend le patient incapable de lutter contre les virus zoonotiques. La balance entre ces deux besoins est difficile à trouver. Les étapes physiques d’élimination virale dans un organe le rendent inutilisable et l’élimination dès le clonage des insertions virales dans le génome ne peut pas être garantie par méconnaissance des pathogènes. C’est ainsi que le premier patient transplanté cardiaque aux États-Unis est rapidement mort à cause d’un virus porcin. Le risque zoonotique est à anticiper dans l’élevage (normes d’hygiène, surveillance, etc.).
Le dernier enjeu, indispensable pour développer une activité de xénogreffe, est économique : il faut produire la « matière première » que sont les porcs. « Nous possédons les compétences locales mais nous avons besoin d’implantations locales », indique le Pr Antoine Durrbach, professeur en néphrologie et transplantation à l’hôpital Henri-Mondor (AP-HP). La société française de biotechnologie Xenothera et ses quelque 500 cochons, qui produit déjà des anticorps polyclonaux glyco-humanisés pour créer des thérapies innovantes, « est en mesure de se positionner sur la xénotransplantation en matière de capacité de production », assure la Dr Odile Duvaux, médecin de formation et présidente de Xenothera. Elle ajoute : « Xenothera se met au service du consortium. » Pour le Pr Durrbach, « l’entreprise pourrait constituer le facteur déclenchant de la dynamique française et européenne ».
Xénogreffe en France : plus d’un siècle d’histoire
La première xénogreffe au monde a été réalisée à Lyon au début du XXe siècle.
Première xénogreffe, première autotransplantation, première greffe de donneur vivant et bien d’autres : la France est depuis longtemps pionnière de la greffe dans le monde. « Cette implication historique dans la greffe est aujourd’hui un atout pour le développement de la xénotransplantation sur le territoire français », atteste le Pr Gilles Blancho, professeur d’immunologie et directeur de l’Institut transplantation urologie néphrologie du CHU de Nantes. « Cela montre l’importance de l’expérimentation pour le progrès médical », renchérit-il.
Technique d’anastomose artério-veineuse
C’est le Dr Mathieu Jaboulay qui réalise à Lyon en 1906 la première xénogreffe mondiale d’un rein de porc puis d’un rein de chèvre sur deux patientes insuffisantes rénales. Il avait mis au point au préalable des techniques d’anastomose artério-veineuse, indispensable pour la greffe d’organes. Le Dr Alexis Carrel, lui aussi lyonnais, réalisera en 1908 la première autotransplantation rénale fonctionnelle sur une chienne et recevra en 1912 le Nobel de physiologie et de médecine pour « son travail sur la suture vasculaire et la transplantation des vaisseaux sanguins et des organes. »
À partir des années 1960, Lyon devient l’épicentre de l’allogreffe et donne naissance à de nombreuses premières mondiales : double greffe rein-pancréas puis greffe des surrénales (Dr Jean-Michel Dubernard, 1976 et 1988) ; greffe de foie fœtal puis de cellules fœtales in utero (Dr Jean-Louis Touraine, 1978 et 1988). L’activité se développe aussi à Nantes où le Dr Dubernard réalise en 1998 la première allogreffe de main et la première double greffe bilatérale des mains et des avant-bras simultanée. En 2025, Lyon et Nantes sont toujours des pôles d’expertise qui héritent d’une histoire riche de recherche médicale. Un point de départ stratégique pour concrétiser la xénogreffe en France.
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