Déontologie, pouvoirs disciplinaires, politique, lobbying...

L'Ordre examiné sous toutes ses coutures

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Publié le 16/06/2016
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Crédit photo : PHANIE

À quoi sert l'Ordre aujourd'hui ? L'interrogation peut sembler incongrue, tant l'institution est installée dans le paysage médical. Mais le droit d'inventaire est légitime à l'heure où le président actuel, le Dr Patrick Bouet, remet en jeu ses mandats (lire ci-dessous), non sans avoir dépoussiéré l'image de cet organisme notamment chargé de défendre l’honneur et l’indépendance de la profession. 

Longtemps composé – du moins selon ses détracteurs – de vénérables mandarins se contentant de rendre la justice ordinale à l'aune d'une déontologie dont ils se voulaient les gardiens sourcilleux, l'Ordre national a fait son aggiornamento ces dernières années. Même si ses opposants jugeront ces changements cosmétiques, il tente d'épouser la modernité et de peser davantage dans le débat public, à l'heure où la profession se sent fragilisée et parfois reléguée.

Fonctionnement et image rajeunis

Sous le mandat du Dr Bouet, premier généraliste en activité à présider l'institution, les praticiens ont plutôt apprécié les prises de position ordinales très critiques sur la loi de santé de Marisol Touraine, trouvant là un renfort précieux sur des sujets liés à l'indépendance professionnelle (lire aussi l'entretien ci-contre).

Plusieurs jolis « coups » politiques ont été salués comme la venue de François Hollande, puis de Manuel Valls l'année suivante, au congrès de l'Ordre. De même, l'institution a été capable de mobiliser 35 000 praticiens dans le cadre de sa grande consultation (automne 2015), démontrant sa capacité à nourrir le débat sur l'avenir de l'exercice. Autre première, l’Ordre n'a pas hésité à lancer une campagne de publicité massive à la télévision mettant en scène, dans une réalisation soignée, des médecins et des patients. Objectif : valoriser l'image du médecin et redorer le blason d’une profession désacralisée, quitte à dépenser un million d'euros.     

Arguments à l'appui, l'institution a été une efficace caisse de résonance de la médecine libérale en colère portant haut et fort l'étendard de la contestation. Cet engagement marqué n'allait pas de soi et reste parfois critiqué. Le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF, défend ainsi le territoire syndical. « Bouet a certes rajeuni l'Ordre dans son fonctionnement et dans son image mais il est hors des clous quand il se présente comme le porte-drapeau des syndicats contre la loi Touraine ».

D'autres leaders syndicaux préfèrent saluer le coup de main ordinal. Le Dr Éric Henry, patron du SML, estime même que « l'Ordre, par son action, a légitimé le combat contre la loi Touraine et a eu le mérite de rappeler à quoi sert un médecin ».

L'Ordre conserve de toute façon de nombreux détracteurs farouches. Le Dr Bernard Coadou, fondateur du MIOP (Mouvement médical d'insoumission ordinale partielle), est des plus déterminés. « Sur le tiers payant par exemple, Bouet a la prétention de parler au nom de la profession tout entière, qu'il sache que ça n'est pas le cas ».

Justice d'exception ?

Le pouvoir disciplinaire de l'institution fait toujours débat. Le petit Syndicat de la médecine générale (SMG) juge que l'Ordre n'est qu'« une justice d'exception illégitime » qui soumet la profession à une double juridiction (tribunaux de droit commun et tribunaux ordinaux). « L'Ordre, et son pouvoir disciplinaire, sert surtout à domestiquer les médecins », juge un autre opposant de longue date.

Au sein de l'institution, le Dr Irène Kahn-Bensaude, conseillère nationale jusqu'à aujourd'hui (elle ne se représentait pas), recadre le débat : les juridictions ordinales, présidées par des magistrats professionnels, ne font pas doublon avec les juridictions civiles ou pénales. « L'Ordre ne juge que les infractions au code de déontologie, rappelle-t-elle, pas les erreurs médicales ».

Côté patients, Christian Saout, secrétaire général adjoint du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) estime que « l'Ordre est la police de la profession. Mais si ça n'était pas lui, ajoute-t-il, ça serait l'État qui le ferait. Serait-ce mieux ? »

Les critiques sur son omniprésence n'empêchent pas l'Ordre, déjà en charge de l'insuffisance professionnelle, de prétendre au pilotage de la future recertification périodique des médecins. Et de se placer résolument dans l’accompagnement des nouvelles voies offertes par la télémédecine et l’e-santé, comme en témoigne son avis sur « l’ubérisation » des prestations médicales. Une autre façon de montrer que l'institution septuagénaire a encore bon pied bon œil.  

 

 

 

 

Henri de Saint Roman

Source : Le Quotidien du médecin: 9505