L’état de grâce de la ministre de la Santé a fait long feu. La grande majorité des syndicats de médecins interrogés par « Le Quotidien » affiche sa déception quand il ne s’agit pas de méfiance. A l’hôpital où l’accueil avait été excellent en mai 2012, la communauté médicale s’interroge sur les atermoiements ministériels ayant suivi le pacte de confiance et les travaux Couty qui ont débouché sur de nouveaux groupes de travail. Les cliniques déplorent d’avoir été délaissées depuis un an. Si l’avenant 8 a permis de revaloriser le secteur I et la médecine générale, l’encadrement des dépassements d’honoraires est considéré comme un casus belli par de nombreuses organisations de médecins libéraux. Seuls les étudiants et internes estiment avoir globalement eu l’oreille de la ministre de la Santé. Marisol Touraine aura fort à faire, à la rentrée, pour reconquérir le corps médical.
Une politique hospitalière ne saurait se résumer à une décision, aussi symbolique soit-elle. Le rétropédalage de Marisol Touraine, qui a reporté la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu après les municipales, a toutefois été perçu comme un mauvais signal par une grande partie de la communauté hospitalière, déjà échaudée par une année d’attentes déçues.
Cette décision est un désaveu public pour la direction générale de l’AP-HP, un sérieux revers pour les médecins mobilisés sur le nouvel Hôtel-Dieu. Le projet tient la route mais il n’est pas mûr, écrit Touraine à Delanoë. S’il n’est pas dupe des enjeux électoraux sous jacents, le président de la CME de l’AP-HP n’a toujours pas digéré l’« oukaze tombé de l’Élysée ». « On a fait un travail énorme et d’un coup, l’exécutif s’assoit sur le vote de la CME et met sens dessus dessous la gouvernance hospitalière », tempête le Pr Loïc Capron.
« Quel signal catastrophique envoyé à la France entière, se désole un directeur d’hôpital. Il suffit de faire suffisamment de bruit pour bloquer une restructuration. » La Coordination nationale des hôpitaux de proximité crie d’ailleurs victoire et égrène les combats à mener à Lure, Briançon, Lannemezan, Marie-Galante, Valréas... Les relations, déjà distendues entre les managers hospitaliers et le ministère de la Santé, ne devraient pas se réchauffer.
Une méthode peu lisible.
À sa prise de fonctions, Marisol Touraine a pourtant été bien accueillie par le monde hospitalier. Son discours à Hôpital Expo, juste après la victoire de la gauche, a été très applaudi. Elle allait appliquer les promesses du candidat Hollande, réécrire la loi HPST, faire de l’hôpital public une priorité. Très vite, en fait, la machine s’est grippée, et l’impression d’une navigation à vue, sans cap, s’est installée chez les hospitaliers.
Les travaux Couty ont débouché sur un rapport, lui-même suivi... de nouveaux groupes de travail. Dans la foulée du pacte de confiance, Matignon a annoncé une stratégie nationale de santé. Reporté la loi de santé publique attendue. « Quelle est la cohérence ? Où tout cela va-t-il aller ? », s’interroge, dubitatif, Frédéric Valletoux, le président de la Fédération hospitalière de France (FHF).
Une baisse tarifaire très mal vécue.
L’incompréhension entre la FHF et le gouvernement persiste depuis la campagne tarifaire 2013, jugée catastrophique, et en contradiction avec l’arrêt de la convergence tarifaire public privé (un engagement de Hollande voté à l’automne 2012). S’être sentie mise au pied du mur a achevé de contrarier la FHF : les tensions avec la ministre étaient manifestes au dernier Hôpital Expo, fin mai.
Le décalage entre les discours ministériels et les actes étonne. « Peut-être faut-il y voir la puissance des lobbies, la faiblesse des marges de manœuvre, l’indécision des pouvoirs publics », avance Michel Rosenblatt, secrétaire général du Syndicat de cadres et directeurs SYNCASS-CFDT. Ce médecin s’interroge : « On a l’impression que le PS se comporte comme s’il était encore dans l’opposition, avec la volonté d’en découdre avec le corps médical ». La confiance tarde à se rétablir. Fait rare : crispés par le blocage de leur statut, les directeurs des soins ont manifesté en mars dernier. Les urgentistes et les SAMU feront grève en octobre, convaincus que les gestionnaires de lits d’aval annoncés par Touraine ne régleront pas les problèmes des urgences.
La colère monte à l’hôpital, à en croire le Dr Rachel Bocher, présidente de l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH) : « Un an après, rien ne bouge. Des groupes de travail et quelques décrets ne font pas une politique hospitalière ».
Des réflexions sont pourtant lancées tous azimuts : sur la tarification à l’activité, les pôles, la place des usagers à l’hôpital. À l’automne devrait s’ouvrir le chantier, central, de l’attractivité des carrières à l’hôpital. Le premier syndicat de la fonction publique hospitalière estime que le compte n’y est pas. « Nous sommes mieux reçus au ministère, mais nous ne sommes pas écoutés, déplore Philippe Crepel, secrétaire fédéral de la CGT santé. Deux mesures symboliques pour les infirmières hospitalières ne coûteraient rien : restaurer la possibilité de départ anticipé à la retraite, et supprimer l’adhésion obligatoire à l’ordre infirmier. On ne voit rien venir ! »
Du côté des praticiens hospitaliers, la volonté de concertation est globalement saluée mais les attentes soulevées sont pour partie déçues. « Marisol Touraine a rattrapé ce que le gouvernement précédent n’avait pas fini (avancées statutaires sur les CET, les PH temps partiel…), observe le Dr Nicole Smolski, présidente d’Avenir hospitalier. Mais ce ministère écoute surtout les Conférences. Je crains qu’on ne rende pas aux praticiens hospitaliers la place qu’ils méritent. » Fraîchement reconnu représentatif, Avenir hospitalier a « encore confiance ». « On ne change pas tout en un an », glisse le Dr Smolski.
La patate chaude de la représentativité syndicale.
Les autres organisations syndicales ont la dent plus dure. La ministre de la Santé, durant les premiers mois, a voulu imposer la CGT et l’AMUF à la table des négociations. Empêtrée dans la question de la représentativité syndicale –une patate chaude laissée par Xavier Bertrand–, elle n’a fait que des mécontents. Le Dr Patrick Pelloux, président de l’AMUF, se dit « très déçu » : « Marisol Touraine entérine la loi Bachelot et la nouvelle gouvernance comme si elle les avait inventées ». Le Dr Norbert Skurnik, président de la Coordination médicale hospitalière, regrette « le temps perdu », « les manœuvres dilatoires » : « Il a fallu un an et un mois pour que la DGOS réunisse autour d’une même table les cinq intersyndicats de PH. Juppé, Kouchner, Évin, Aubry…, nous avaient reçus tout de suite ! ». Une réflexion s’ouvre sur le temps de travail des PH. Le « grain à moudre » donné aux intersyndicats arrive tardivement. Avoir confié le bilan des pôles aux Conférences (de présidents de CME et de directeurs) est mal vécu. Le Pr Guy Moulin, président de la Conférence des présidents de CME de CHU, tempère, et assure que les syndicats « seront associés à la réflexion ». Lui juge avec optimisme la politique déployée : « L’hôpital est mieux porté qu’auparavant. Il faut laisser du temps au temps. »
Les cliniques délaissées.
L’humeur, du côté des cliniques, est désenchantée. Par trois fois, Marisol Touraine a décliné l’invitation de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP). L’épisode du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) n’a rien arrangé. Jean-Loup Durousset, président de la FHP, regrette l’absence de confiance mais garde la main tendue. « Marisol Touraine est passée à côté des questions de fond – avenir de la protection sociale, santé publique. On a perdu un an. Vite, réunissons les fédérations hospitalières et ouvrons le débat ! » Le Dr Jean-Paul Ortiz, président du SYMHOP (le syndicat des médecins de l’hospitalisation privée), masque mal sa déception. Qu’il s’agisse de l’attribution des lignes de gardes ou des autorisations d’activité, « l’hôpital public, depuis mai 2012, est privilégié, dit-il. Le dialogue existe, on discute. Mais dans les faits, rien ne se passe ! Le ministère méconnaît notre rôle et se méfie de nous. »
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes