Les ions bromures, vieux traitement anti-épileptique, pourraient-ils soulager les personnes avec un trouble du spectre autistique (TSA), en atténuant les symptômes qui pèsent le plus sévèrement dans le comportement social ?
C'est la piste qu'explorent des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS, de l'Inrae et de l’université de Tours, dans une étude publiée en avril dans le journal « Neuropsychopharmacology ». Piste d'autant plus prometteuse que la recherche thérapeutique est à la peine dans le domaine de l'autisme, plusieurs essais cliniques ayant été récemment abandonnés (ceux portant sur le balovaptan, l'ocytocine en intranasale et le bumétanide).
« Les troubles du spectre autistique sont une modification de l'équilibre entre excitation et inhibition neuronale (en faveur d'une augmentation de l'excitation). Un tel déséquilibre s'observe aussi dans l'épilepsie, qui est par ailleurs une comorbidité fréquente de l'autisme. Les ions bromures ayant longtemps été utilisés comme antiépileptiques (car ils facilitent l'inhibition neuronale), nous nous sommes demandé s'ils pouvaient rééquilibrer la balance dans les TSA et soulager les symptômes », a expliqué lors d'une conférence de presse ce 16 juin, la chercheuse et co-autrice, Julie Le Merrer (iBrain, Université de Tours, CNRS).
Trois modèles de souris
L'une des originalités de ce travail est d'avoir pris en compte trois modèles murins, l'autisme ayant des origines hétérogènes : le premier n'exprime pas le récepteur mu aux opioïdes, le deuxième a le syndrome de l'X fragile, le troisième, celui de Phelan-McDermid.
Autre particularité : les chercheurs ont fait une analyse comportementale des souris (et non seulement cellulaire), puisque « l'autisme chez les humains est surtout diagnostiqué à partir du comportement », souligne Julie Le Merrer. Ils ont en particulier regardé l'interaction sociale des souris (se touchent-elles le museau lorsqu'elles ne se connaissent pas ?) et les comportements stéréotypés (nombre de cercles qu'elles font).
Résultats : « les ions bromures agissent sur ces deux axes diagnostiques de l'autisme : ils améliorent le comportement social et diminuent les stéréotypies, ce dans les trois modèles génétiques différents », lit-on. Ils réduisent aussi l'anxiété, en vertu de leur effet sédatif déjà connu.
Vers une bithérapie ?
« Le gros challenge est désormais le passage de la souris à l'homme », résume Julie Le Merrer - un cap face auquel ont échoué les récents essais cliniques. « Nous sommes optimistes car nous avons pris en compte plusieurs modèles murins. Cela nous permet d'être plus confiants quant à la capacité du traitement à être généralisable à plusieurs sous-groupes d’individus autistes. Mais nous restons prudents », ajoute Jérôme Becker, co-auteur et chercheur Inserm.
Si aucune date n'est encore fixée pour son lancement, le processus de construction d'un essai clinique est en cours. Au-delà de l'aspect réglementaire, il s'agit de constituer un groupe (petit effectif de patients adultes, avec des symptômes lourds), de définir les critères, de préciser les doses et la fréquence à administrer (per os), de mobiliser les acteurs… Notamment les laboratoires pharmaceutiques.
À plus long terme, les chercheurs espèrent pouvoir combiner les ions bromures à d'autres molécules, notamment une facilitant l'activité d'un récepteur au glutamate (mGLU4) et freinant l'excitation. L'effet synergique pourrait permettre de réduire les doses des deux médicaments et les effets indésirables, en particulier pour les doses des ions bromures, qui ont une fenêtre thérapeutique étroite. « La marge entre la dose efficace et la dose toxique est petite, cela nécessite un suivi rapproché des patients, avec dosage régulier de la bromérie par prise de sang. Ce qui peut être contraignant, notamment pour des adultes avec TSA », explicite Julie Le Merrer.
La combinaison a déjà été testée chez la souris, ainsi que dans des modèles cellulaires, avec des résultats positifs qui se maintiennent au cours du temps, alors que les doses de chaque composé ont été divisées par cinq. « Tester cette combinaison dans un essai clinique chez l'homme prendra encore plus de temps », précise néanmoins la chercheuse.
Une approche complémentaire
Dans tous les cas, ces thérapeutiques n'ont pas vocation à remplacer les interventions ciblées, sur lesquelles repose aujourd'hui la prise en charge des TSA. « Et jamais elles ne cibleront les personnes dont le style autistique est un atout dans leur vie. Elles s'adressent en priorité aux enfants et adultes qui souffrent d'un handicap majeur », commente la Pr Frédérique Bonnet-Brilhault (pédopsychiatre, responsable du centre d'excellence autisme Exac-T du CHRU Tours). « Il ne s'agit pas de soigner une maladie, mais de soulager des symptômes et de rendre la vie plus facile », ajoute Julie Le Merrer.
L'autisme concernerait 1 % de la population générale, soit 700 000 personnes en France. La recherche sur les TSA va bien au-delà de la piste pharmacologique : développement de diagnostics ultra-précoces (dès six mois), apport des nouvelles technologies, ou encore études sur le risque de trouble neurodégénératif lors du vieillissement.
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