LE QUOTIDIEN : Ce plan « Priorité prévention » signe-t-il la révolution de la prévention ?
FRÉDÉRIC PIERRU : Une politique de santé publique s'évalue à l'aune de quatre critères : la définition de priorités claires, leur constance, les budgets, et leur capacité à viser non seulement les comportements individuels, mais aussi l'environnement.
Or à la place de priorités, on lit plutôt un inventaire à la Prévert : du cancer du col de l'utérus, à la grippe, en passant par l'alimentation, et les EHPAD, le spectre est très large.
Les 400 millions d'euros prévus sur cinq ans ne sont pas à la hauteur d'une priorité : il faudrait que la prévention représente 10 % des dépenses de santé, or on n'en est qu'à 7 %.
Enfin, seuls les comportements individuels sont visés, sur l'alcool, le tabac, la nutrition. Il est très significatif que l'un des grands absents de ce plan soit la santé au travail, alors que les conditions se dégradent, que le stress augmente, que des cancers sont liés à l'exposition aux substances toxiques.
Pensez-vous que ce plan permette de réduire les inégalités sociales de santé ?
Le plan a été fait avec le souci de ne fâcher ni les lobbies ni l'opinion. Que reste-t-il ? De l'incitatif, de l'informatif (pictogramme, site internet, etc.), et du ciblage sur les comportements individuels. Or les sciences sociales ont montré que cela aggravait les inégalités sociales de santé.
Plutôt que cibler large, il faut agir sur l'environnement, le contexte social, et prendre en compte les différences entre les publics. La détermination des publics en fonction des âges de la vie n'est pas pertinente : la jeunesse n'est pas homogène ! Cela revient à prêcher des convertis, en laissant sur le bas-côté les populations déjà défavorisées, ceux qui ont le moins de moyens financiers et culturels pour modifier leurs pratiques. On le constate en regardant l'épidémiologie de l'obésité : les inégalités se sont creusées entre les enfants de cadre et ceux des familles populaires. Il faut approcher les publics en fonction de leur contexte de vie et de leurs ressources. Les mesures sur l'hépatite C vont dans le bon sens. Le pass préservatif aussi… sauf si cela se limite à supprimer la barrière économique ; cela ne suffira pas à démocratiser l'accès à la prévention.
Depuis 10 ans, on constate l'augmentation des inégalités sociales face à la maladie et à la mort : ce plan où l'on saupoudre sans prioriser, dans la continuité des autres, encourt le risque de n'être que cosmétique.
L'approche interministérielle n'est-elle pas novatrice ?
L'interministériel va en effet dans le bon sens. L'avenir nous dira si cela va plus loin que de l'affichage. La santé est souvent la grande perdante des arbitrages ministériels : Ségur aura-t-il les moyens de l'emporter face à un président et un premier ministre qui ont comme priorités l'économie, l'emploi, et la croissance, face à Bercy, face au ministère de l'agriculture ?
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