Un livre de Jean Cambier

À la recherche du temps biologique

Publié le 16/06/2011
Article réservé aux abonnés
1308186874263102_IMG_63073_HR.jpg

1308186874263102_IMG_63073_HR.jpg

RYTHME circadien (environ un jour), qui ajuste veille et sommeil et règle la température corporelle ; rythme supradien, circannuel, voire mensuel, qui contrôlent la reproduction et l’hibernation ; rythme infradien (compris à l’intérieur d’une journée), qui régule appétit, vigilance et autres sécrétions hormonales : le rythme, c’est la vie, rappelle le Pr Cambier, que ce soit sous sa forme végétale, ou sous sa forme animale. Et ce sont les horloges biologiques qui garantissent les fonctions vitales à partir d’indices environnementaux divers. Chez les oiseaux et chez les mammifères, les noyaux suprachiasmatiques, explique-t-il, assurent cette fonction horlogère, des noyaux situés dans la partie basse du troisième ventricule, de chaque côté de la ligne médiane, juste au-dessus de l’entrecroisement des nerfs optiques (chiasma), en avant et au-dessus de la tige pituitaire qui relie l’hypophyse à l’hypothalamus. Entre les tubercules quadrijumeaux, la glande pinéale ou épiphyse, au cœur des hémisphères cérébraux, sécrète, à partir de la sérotonine, la mélatonine qui faciliterait la resynchronisation après un jet lag.

C’est dans l’hémisphère droit, dominant pour le langage et le calcul, que siège la mémoire des événements et la chronologie, mais l’hémisphère gauche a son mot à dire avec les « petits outils de langage » qui sont indispensables à la chronologie. D’entrée, « Du temps et des hommes » inscrit donc le temps dans la structure cérébrale ; la connaissance du temps, temps subi, temps vécu, temps représenté, temps compté, temps maîtrisé, procède directement de celle du système nerveux.

Neurobiologiste, ancien président de la Société française de neurologie, l’auteur n’a de cesse d’ouvrir le champ de l’interdisciplinarité, puisant dans des spécialités aussi variées que l’embryologie, la pharmacologie, ou la psychologie. Il rappelle que, depuis Hippocrate, la mesure du rythme (pouls, respiration, fièvre) est au premier rang de la sémiologie clinique.

Chronopathologies.

De nos jours, constate-t-il, le facteur temps visible dans le profil évolutif des maladies a été réduit par l’avènement des nouvelles thérapeutiques. Mais, longtemps, l’enseignement de la pathologie lui accordait une place primordiale, avec, par exemple, les septénaires de la fièvre typhoïde, ou les stades de la méningite tuberculeuse. Mais la chronotixocologie et la chronopharmacologie témoignent que la médecine ne s’est pas désintéressée du temps.

La chronopathologie, sans l’expliquer toujours, montre que l’attaque de goutte ou la crise d’asthme ont une prédilection pour la seconde partie de la nuit, que le milieu de la matinée est favorable à l’infarctus du myocarde et que certains patients épileptiques (épilepsie à structure morphéique) ne font que des crises nocturnes. Les parkinsoniens présentent un ralentissement de l’horloge interne, alors que les schizophrènes, à l’opposé, ont une hyperactivité des dispositifs dopaminergiques qui leur font sous-estimer la durée réelle.

Et le rapport au temps, la capacité de le manier ou de le gérer, engendre ses psychopathologies : l’anxieux, qui vit dans l’attente du pire, non content de se projeter vers l’avenir, n’en imagine que les risques et il en éprouve une peur physique ; à l’opposé, la personne atteinte d’ataraxie souffre d’une apathie qui lui est plus dommageable que la tendance anxieuse, l’obsessionnel, qui ne peut se détacher du passé immédiat, s’en trouve paralysé pour envisager l’avenir. Chez les dépressifs, l’impression du ralentissement du temps est habituelle, avec un sentiment d’ennui et la réduction des initiatives. Et les maladies dégénératives du système nerveux central, au premier rang desquelles la maladie de Parkinson, compromettent le bon usage du temps.

Porté par ses propres recherches et sa pratique hospitalo-universitaire sur le temps, le Pr Cambier révèle aussi, tout au long du livre, une érudition philosophique impressionnante, d’Aristote à Heidegger, en passant par Saint Augustin, Descartes, Leibnitz et Kant, sans oublier Bergson, tous des penseurs du temps. La poésie complète cette riche anthologie, avec notamment Ronsard : « Le temps s’en va, le temps s’en va, ma dame ; las, le temps non, mais nous nous en allons. »

* Jean Cambier, « Du temps et des hommes », Éditions de l’Infini, 302 p., 24 euros.

> CHRISTIAN DELAHAYE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8983