À l'hôpital, en clinique ou dans le secteur privé non lucratif, près de 100 000 médecins entament ce lundi leur matinée de travail. Savent-ils qu'il s'agit du premier jour de la semaine européenne du développement durable ? Il est permis d'en douter.
Le développement durable représente pourtant un enjeu considérable pour les 2 800 établissements de santé, gros pollueurs par définition. Tous ont la nécessité de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 20 % avant 2020 et d’enregistrer 23 % d’énergie renouvelable. Tri, recyclage, achats responsables, bâtiment, transports : très vaste, le champ d’action est d’autant plus intéressant pour les managers hospitaliers que les pratiques vertueuses peuvent rimer avec des économies financières significatives.
Un volet « développement durable » émerge de plus en plus systématiquement dans les projets stratégiques (85 % des établissements publics en 2015 et 99 % des cliniques). Les initiatives fleurissent et le secteur privé MCO se veut pionnier. La clinique Pasteur à Toulouse trie, récupère et valorise l’or et le platine au lieu de jeter ces précieux métaux dans ses déchets liés aux soins à risques infectieux (DASRI). La clinique Juge à Marseille a opté pour une construction faite de panneaux de bois massif et pour la lumière naturelle.
Dans ses blocs, l'hôpital de Douai recycle pinces et électrodes à base de chlorure d’argent à usage unique. Le projet d’établissement 2015/2019 a été construit avec l'idée que le développement durable pouvait enrichir le projet d’établissement.
Soigner des humains, pas des arbres
Si la prise de conscience des directions est réelle, celle des médecins laisse encore à désirer. « Les praticiens ne sont pas contre les politiques vertes à l’hôpital mais rares sont ceux qui sont à la manœuvre, constate Alexandre Mokede, en charge du développement durable à la Fédération hospitalière de France (FHF). Beaucoup pensent encore : je soigne des humains, pas des arbres ! »
Même de bonne volonté, les professionnels manquent d'accompagnement pour imaginer des projets d'éco-conception des soins. Et le poids de la réglementation hospitalière démotive.
Côté tutelles, à Paris, Bercy, la Santé et le ministère de l’Environnement parlent peu de ces sujets. À moins d'écrire soi-même les chapitres, la littérature sur l'impact écologique de la pratique médicale fait défaut.
Le Dr Serge Zaluski l'a bien compris. Avec l’aide d’experts, l’ophtalmo de la Polyclinique Saint-Roch, à Cabestany (Pyrénées-Orientales), a calculé qu’une opération de la cataracte génère 1,5 kg de DASRI, 830 grammes d’ordures ménagères, 340 grammes de cartons, 63 kWh d’électricité et 124 litres d’eau consommés. 25 cataractes représentent un aller-retour en avion Paris/New York. Il s'agit de l'opération la plus pratiquée en France (720 000 actes en 2015).
Le fossé entre l'administration et les praticiens explique en partie ce manque d'implication médicale dans le développement durable. C'est du moins le sentiment du Dr Jane Muret, anesthésiste réanimateur à l’Institut Gustave Roussy (Villejuif, Val-de-Marne), qui a repeint en vert les 14 blocs de son établissement. Son projet de recyclage des métaux contenus dans les fils de bistouri (cuivre) et dans les lames de laryngoscope (inox) lui a permis de recycler 2,6 tonnes de métaux en un an. Les DASRI ont été réduits de 43 %. « Le bloc est un endroit idéal pour entamer une démarche verte, s’enthousiasme-t-elle. C’est un espace confiné avec des équipes mobiles mais régulières, sensibilisées à la culture de la sécurité et du protocole. Mais quand les projets viennent d’en haut et non l’inverse, les médecins sont rarement motivés. »
Fibre écolo
Seuls les médecins militants sont en mesure de verdir réellement leur quotidien. « Il faut vraiment avoir la fibre écolo pour porter un projet de développement durable, confirme le Dr Philippe Carenco, médecin hygiéniste et gériatre qui a réduit de moitié le volume de détergent-désinfectant utilisé à l’hôpital de Hyères (Var). Les médecins ne font pas encore assez le lien entre la protection de la planète et la santé – la leur mais aussi celle de leurs patients. »
Et si l'élan venait des sociétés savantes ? La Société française d'anesthésie-réanimation (SFAR) abrite sa propre commission de développement durable. Une initiative encore rare mais prometteuse.
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