Risque santé-environnement

Comment évaluer les faibles doses en toxicologie ?

Publié le 03/05/2012
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Crédit photo : BSIP

POUR DÉFINIR les niveaux de sûreté dans le domaine de la santé-environnement, les autorités s’appuient sur des données certifiées par l’absence de réponse toxique constatée et qui définissent des « faibles doses », théoriquement sans danger pour la population. Mais la notion de « faible dose » n’est pas absolue. Elle est liée à une absence d’observations « recevables » via les outils classiques (observations cliniques, observations dans la nature, épidémiologie, expérimentation sur modèles animaux, expérimentation sur cellules et infra-cellulaire). Qu’il s’agisse d’épidémiologie ou de toxicologie, ces deux grandes méthodes d’investigation des effets de substance ont montré leurs limites propres. « Pour l’épidémiologie, l’obstacle est bien connu, c’est la significativité. Il faut beaucoup de cas pour qu’un effet soit constaté, à savoir 10 000 cas pour observer un excès de cas de l’ordre de 2 % », souligne Philippe Hubert, directeur des risques chroniques à l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS). « Il faut aussi se méfier des études épidémiologiques négatives qui peuvent donner l’impression qu’il n’y a rien. Or, ces résultats sont à prendre avec prudence », car l’autre limite de l’épidémiologie est le besoin de recul dans le temps, poursuit-il.Quant à la toxicologie, « ce n’est pas la significativité statistique qui va faire obstacle mais la signification », indique Philippe Hubert. « On va assez facilement observer à des doses relativement faibles des réponses biologiques. Pour autant, on n’est pas du tout sûr que ces réponses seront sur le chemin d’une pathologie. Toute la bataille d’experts, c’est de définir à partir de quand l’effet est dommageable car des substances qui ont un effet sur le système endocrinien, il y en a plein. Le problème est de savoir quand cet effet a du sens », résume-t-il.

L’exemple du perchloroéthylène.

Pour évaluer le risque en deçà des « faibles doses », les scientifiques recourent nécessairement à l’inférence selon trois biais : l’extrapolation, la transposition et l’analogie. L’inférence par extrapolation consiste à « passer des doses avec effets observés aux doses pour lesquelles on prédit ». Cette méthode se consolide quand est démontrée une continuité dans les mécanismes. « Si vous avez bien défini, bien mesuré le modèle et bien démontré qu’une substance reste métabolisée, voire même que la proportion métabolisée est plus forte quand la dose descend, vous avez un indice qui justifie de descendre en dessous des doses observées », explique Philippe Hubert qui cite l’exemple du perchloroéthylène, substance toxique utilisée essentiellement dans les pressings. L’INERIS a travaillé sur ce produit et sa métabolisation. « On a développé avec un chercheur américain un modèle qui montre justement que lorsque l’on descend en dose, la fraction métabolisée s’avère plus forte. Le mécanisme biologique est donc toujours actif même aux doses où l’on n’observe plus d’effet », expose-t-il. C’est d’ailleurs sur cette base que l’agence américaine de protection de l’environnement a publié en février dernier la révision de son seuil réglementaire du perchloroéthylène en concentration dans l’air, passé de 250 à 40 µg/m3. L’autre méthode d’inférence classiquement utilisée est la transposition qui permet de passer des populations, espèces ou voies d’exposition sur lesquelles existent des observations à une autre population cible. Si les aléas de la transposition de l’animal à l’homme sont souvent évoqués, des écarts sont aussi présents entre les populations humaines. Et des outils comme la toxicocinétique permettent de les apprécier, voire de les quantifier. La troisième voie d’inférence est l’analogie entre substances où il s’agit de partir d’une substance pour laquelle des effets ont été observés pour les attribuer à une substance similaire. Outre les analogies « traditionnelles » (entre composés d’une même valence, entre des expositions professionnelles et des expositions environnementales…), avec la mise en place du système REACH (cadre réglementaire de gestion des substances chimiques), d’autres procédés se sont démocratisés dans le domaine de la toxicologie à l’image de la technique des QSAR (relation quantitative entre la structure chimique de deux molécules). « Tout ce qu’on a développé avec le renouveau de la toxicologie depuis une quinzaine d’années permet aujourd’hui d’y voir un peu plus clair sur les faibles doses. Ce qu’on est en train de développer à l’INERIS, ce sont des outils qui permettent de mieux qualifier les mécanismes pour mieux cerner ce qu’il se passe en dessous de l’observable », indique Philippe Hubert. « Les progrès en toxicologie prédictive avec les modélisations (toxicocinétique, QSAR…), des nouveaux outils (génomique, protéomique, métabonomique) conduisant à des biomarqueurs opérationnels contribuent à résorber les cloisonnements entre les approches », conclut-il.

 DAVID BILHAUT

Source : Le Quotidien du Médecin: 9122