La Pr Frédérique Bonnet-Brilhaut, professeure de pédopsychiatrie et de physiologie au CHRU de Tours, dirige EXAC-T, l’un des cinq centres d’excellence sur l’autisme et les troubles du neurodéveloppement. À l’occasion de journée mondiale de sensibilisation, ce 2 avril, elle revient pour le « Quotidien » sur les avancées de la prise en charge de l’autisme en France, qui concerne 700 000 personnes.
LE QUOTIDIEN : La stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neurodéveloppement, lancée en 2018, a-t-elle changé la donne ?
Pr BONNET-BRILHAUT : Elle a donné une véritable impulsion, notamment dans le diagnostic des enfants. La mise en place des plateformes d’orientation et de coordination des troubles du neurodéveloppement (TND), dans chaque département, permet d’améliorer la précocité des diagnostics. Ces structures font le lien entre les pédiatres, les généralistes, l’ensemble des acteurs d’un territoire et les équipes qui font les bilans spécialisés. Plus qu’une courroie de transmission, elles envoient un message invitant à être attentif à cette clinique des TND. C’est important car toute une génération de médecins n’y a pas été formée sur les bancs de la faculté ! Les choses bougent aussi en matière de formation, continue comme initiale.
Et cela fonctionne : les enfants avec des TND sont aujourd’hui repérés plus tôt. Malheureusement, ce n’est pas encore homogène sur tout le territoire. Et cela ne pallie pas l’absence de professionnels formés pour la prise en charge, une fois le diagnostic posé.
Votre centre a été labellisé centre d’excellence en 2019. Qu’est-ce que cela a changé pour vous ?
Cela nous aide à fédérer un ensemble de partenaires sur l’interrégion Grand-Ouest, à diffuser et harmoniser les pratiques, et à bénéficier des expertises des autres. Nous pouvons ainsi amplifier nos actions en termes de recherche, de soins et d’enseignement. Nous sommes désormais une vingtaine d’équipes médicales, 11 équipes de recherche, sans compter les partenaires issus du privé, notamment pour l’innovation technologique.
Quelles sont les pistes de recherche prometteuses aujourd’hui ?
Grâce au développement de l’innovation technologique, nous arrivons de mieux en mieux à identifier les réseaux neuronaux cibles et à voir quels sont les circuits qui fonctionnent de manière atypique chez un enfant. Les petits avec un trouble du spectre autistique (TSA) ne perçoivent pas les choses comme les autres sur le plan sensoriel, visuel, auditif, tactile… Grâce à des capteurs, nous obtenons des cartographies individuelles qui ouvrent la voie à des interventions personnalisées, pour chaque enfant.
À Tours, nous testons un dispositif de réalité immersive, pour comprendre comment un enfant réagit à des environnements vidéo différents. Il ne faut pas oublier que ce sont des troubles sans lésion : c’est par rapport à un contexte que le comportement d’une personne autiste peut être inadapté. L’idée est encore d’obtenir un profil individuel en fonction des variations de l’environnement.
D’autres recherches relèvent du domaine biologique, c’est-à-dire de la génétique et de la métabolomique, où l’on cherche à mieux comprendre comment fonctionne l’axe cerveau intestin de l’enfant.
Les associations déplorent que les adultes soient les oubliés des plans et stratégies. Des voix s’élèvent aussi pour dénoncer l’invisibilité des femmes autistes…
Les adultes représentent le domaine où l’on a le plus à faire, avec une grande hétérogénéité des réponses selon les territoires. Mais il y a une volonté : avant, l’autisme chez l’adulte n’était pas même évoqué, l’on pensait que les TSA ne relevaient que de l’enfance. Aujourd’hui, c’est nommé, des financements y sont dédiés. Dans les centres de réhabilitation psychosociale, qui accueillent des schizophrènes, des sections consacrées à l’autisme s’ouvrent, avec des programmes adaptés de remédiation cognitive, d’accompagnement, de « job coaching ».
Quant aux femmes, l’expression symptomatique variable en fonction du genre est désormais une thématique clinique et de recherche bien identifiée. L’on sait en effet que les formes prototypiques de TSA se retrouvent davantage chez les garçons et qu’il y a des effets de camouflage (l’on s’inquiéterait moins de certains comportements de repli chez les filles, qui en outre développeraient des stratégies d’adaptation). Mais il est vrai que nous n’avons pas encore d’outils cliniques différenciés.
Avez-vous observé un impact du Covid sur les enfants que vous suivez ?
Lors du premier confinement, nous avons mis en place un accompagnement très individualisé des parents et des enfants suivis dans notre centre : nous avons trouvé que cette population tolérait plutôt bien le confinement strict. La répétition, les routines ne leur présentent pas de difficulté, au contraire. Ce n’est pas pareil en revanche pour les familles où les enfants ont des troubles sévères du comportement, ou lorsque les parents se retrouvent en situation de précarité.
Chez les enfants et surtout les adolescents non TSA qu’on reçoit dans le reste du centre de pédopsychiatrie, nous avons observé, en revanche, une augmentation des troubles anxieux et dépressifs, et des idéations suicidaires. Lorsqu’ils sont en difficulté dans leurs structures familiales ou foyers, la perte de relation extra-familiales aggrave leurs vulnérabilités. Heureusement qu’ils peuvent encore sortir.
Des platesformes de repérage, de diagnostic et d’intervention
Le président de la République Emmanuel Macron se déplacera ce vendredi 2 avril au pôle Trouble du spectre de l’autisme de Saint-Egrève, en Isère, l’une des 63 plateformes repérage, diagnostic et intervention précoce destinés aux enfants, qui a été créée dans le cadre de la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles neurodéveloppementaux (TND).
Depuis le lancement en 2018 de cette stratégie, « le repérage et l’accompagnement précoce des enfants de 0-6 ans s’est massifié. Mais en raison de la crise, le déploiement des dispositifs pour les 7-12 ans se fera, lui, plus progressivement », observe la délégation interministérielle à l’autisme. Ainsi, la diffusion de la grille d’analyse pour repérer les écarts de développement auprès des généralistes, pédiatres, médecins scolaires et professionnels de la petite enfance a permis de repérer en un an 6 800 enfants par rapport à 150 habituellement. Et 3 800 familles ont bénéficié d’un forfait de prise en charge précoce, permettant l’intervention (sans frais) d’un psychologue, ergothérapeute ou psychomotricien.
Les délais d’attente dans les centres de ressources autisme (CRA) ont diminué d’en moyenne de 100 jours, grâce à l’investissement de 8,8 millions d’euros et le recrutement de 74 équivalents temps plein.
En termes de recherche, le groupement d’intérêt scientifique (GIS), dirigée par la Pr Catherine Barthélemy, chapote désormais 100 équipes de recherches. Deux nouveaux centres d’excellence TSA-TND à Lyon et Strasbourg ont été labellisés, rejoignant ceux de Paris, Tours et Montpellier. Au total, 14 postes de chefs de cliniques ont été créés, et un Living-learning lab s’est mis en place, avec Sorbonne Université.
Si la scolarisation des enfants autistes progresse − 41 000 autistes vont à l’école ordinaire, soit 1 800 de plus qu’en 2019, et 247 classes spécifiques existent en maternelle et à l’élémentaire −, l’inclusion des adultes est à la peine. Le ministère met en avant la mise en place de 25 projets d’habitats inclusifs et la création prochaine de 40 unités résidentielles médico-sociales, pour accueillir à chaque fois six résidents adultes complexes. Selon les associations, 95 % des adultes autistes seraient sans emploi.
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