« Un bien public mondial », c'est ainsi que le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres exhorte la communauté internationale à considérer le vaccin contre le Covid-19. Se pose ainsi avec acuité le défi récurrent de l’accès pour tous aux innovations pharmaceutiques.
Mais, malgré l’appel de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en faveur d’une réponse sanitaire commune et contre le « nationalisme vaccinal », la concurrence pour obtenir les premières doses disponibles du futur vaccin est bien là et les accords d’exclusivité entre États et laboratoires pharmaceutiques se multiplient.
En réaction, l’OMS a initié le programme Covax, codirigé avec l’alliance GAVI pour les vaccins et la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI). L’objectif est double : répartir les risques liés au développement du vaccin et à sa production et sécuriser l’approvisionnement de deux milliards de doses.
Le Covax de l’OMS pour un partage des doses
Pour l’heure, 172 pays (plus de 70 % de la population mondiale) se sont engagés : 80 pays capables de s’autofinancer et 92 à revenu faible ou intermédiaire qui remplissent les conditions pour bénéficier du système de garantie de marché (AMC) du Covax.
Malgré cet effort, « la victoire n’est pas garantie, estimait Antonio Guterres, dans un entretien au journal « le Monde », le 14 septembre. Covax dispose de trois milliards de dollars [les premiers versements sont attendus en octobre, N.D.L.R.], nous avons besoin de 35 milliards ».
Neuf vaccins font actuellement partie du « portefeuille » de Covax, « le plus important et le plus diversifié au monde », selon le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus. Neuf autres sont en cours d’évaluation.
Dès que leur innocuité et leur efficacité seront prouvées, les vaccins de Covax seront offerts à tous les pays participants, en quantités proportionnelles à leur population. La priorité sera d’abord donnée aux agents de santé, puis aux groupes vulnérables (personnes âgées et à risque). Des doses doivent également être distribuées selon les vulnérabilités face à la menace pandémique, mais aussi en vue d’alimenter des stocks d’urgence.
Cette approche a été critiquée par des éthiciens de la santé dans une tribune publiée dans « Science » (1). Plutôt qu’une distribution proportionnée, ils plaident pour le modèle de « Fair Priority », favorable aux pays du sud, en calculant, pays par pays, le nombre d'années de vie « épargnées » grâce à la vaccination. Ils contestent également l’allocation de doses en fonction du nombre de soignants, ce qui avantagerait les pays développés.
Les États préoccupés par leur propre population
Malgré ces critiques, la plus grande menace pesant sur l’initiative de l’OMS pourrait venir des États, dont certains sont pourtant engagés dans Covax. Leurs agences d’homologation, FDA (États-Unis) et EMA (Europe) en tête, collaborent directement avec les laboratoires pharmaceutiques pour des autorisations rapides de mise sur le marché. De plus, les gouvernements signent des accords avec des industriels, qui eux-mêmes s'associent entre eux pour assurer la logistique mondiale d’une production à grande échelle. Selon un rapport de l'ONG Oxfam, les précommandes des pays développés avec les fabricants de vaccins actuellement en phase 3 s'élèvent à 5,3 milliards de doses, soient 51 % du total.
« Tous les États cherchent à sécuriser l’approvisionnement du vaccin pour leur propre population, sachant qu’il y a un enjeu politique fort pour les gouvernements à montrer leur capacité de réponse à la crise sanitaire », résume Nathalie Coutinet, économiste de la santé à l’Université Sorbonne-Paris-Nord, rappelant que les précommandes réalisées par les États permettent de financer la recherche et les capacités de production.
Plusieurs scénarios apparaissent envisageables. « Si une firme financée par les États-Unis trouve le premier vaccin, le marché américain sera privilégié et le vaccin sera vendu à un prix élevé, créant des phénomènes d’exclusion, même au sein des pays développés », anticipe Nathalie Coutinet. Si le vaccin vient d’Europe, qui a réalisé des précommandes massives dans la perspective d’en attribuer une partie aux pays du sud, le scénario peut être celui d’un accès large et d’un coût faible. « Pour des raisons politiques, la Chine pourrait adopter une approche similaire », souligne l’économiste.
La stratégie mondiale de vaccination contre le Covid-19 comporte encore de nombreuses inconnues. « Dans les faits, il y aura des arbitrages et il est difficile d’imaginer qu’il n’y ait pas de conflit », estime-t-elle.
(1) Ezekiel J, et al. Science. Sep 2020. DOI: 10.1126/science.abe2803
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