Lettre ouverte à mes chers confrères

Publié le 03/12/2015
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J’ai sous les yeux « le Quotidien du Médecin » du 2 novembre dernier. L’intervention en octobre du Premier ministre au congrès de l’ordre, destinée à nous faire avaler la couleuvre du tiers payant généralisé (afin de vendre la médecine pieds et poings liés aux compagnies d’assurance privées), le suicide par pendaison (insignifiante goutte d’eau hors d’un vase débordant à raison d’un taux de suicide de 2,47, soit deux fois et demie celui de la population générale), toute une profession, la nôtre, fustigée du doigt pour fraude à la SS (pardon, Sécurité sociale), etc.

Mon sentiment est que nous avons notre part de responsabilité à endosser au sein de ce marasme. Notre responsabilité est celle du déni. Et quel déni plus éclatant, plus absurde aussi, que de s’enfoncer le bâillon bien profond jusqu’au fond de la gorge jusqu’à nous en étouffer, au risque de transformer celui-ci en corde pour nous pendre ? Notre responsabilité à ce jour est de nous être laissé définir ou, pire, de nous être auto-définis en tant que « soi-niants », traduire des « boucs émissaires prêts à endosser ce rôle de se sacrifier sur l’autel de la "santé publique" jusqu’à la négation voire l’annihilation de soi-même ». Or, quelle pourrait bien être la destinée d’un mouton hormis celle d’être tondu jusqu’à l’os, saigné puis embroché, rôti et dégusté en tant qu’agneau sacrificiel sous forme d’un méchoui ? Hélas pour nous, nous nous comportons en moutons… Il semble donc légitime d’avoir en face de nous, en guise d’interlocuteurs, des gardiens de parcs à moutons, ces « bons bergers » prompts à nous ramener à la « raison », afin que nous courbions un peu mieux l’échine et rentrions tête basse, la queue entre les jambes, dans la file d’attente qui mène à l’abattoir. Les faits l’ont démontré, et le démontrent encore, depuis plus de quarante (!) ans, à chaque changement ministériel.

Nous n’avons rien à attendre de ceux qui nous gouvernent. Dans leur métalogique – strictement comptable à court terme –, un bon médecin est un médecin mort. Tout simplement parce qu’un médecin mort ne prescrit rien, et donc ne « coûte » rien à la collectivité !

Le choix des armes

Pour ce qui est des modalités, « détail de l’Histoire » sans la moindre importance, à nous le choix des armes quant à ce qui nous convient le mieux : morts de trouille (c’est le fond commun qui nous manque le moins, comme il sied d’ailleurs parfaitement aux moutons), morts de fatigue, morts de burn out, morts par suicide (2,47…), quand ce n’est pas morts de honte (vu la façon dont nous nous voyons « récompensés » pour nos mérites et nos bons et loyaux services), voire morts par agression durant une garde (c’est arrivé à plus d’un). Mais nous n’avons hélas rien à attendre de plus de notre « ordre » de tutelle, à ranger du côté de ceux qui nous gouvernent et dont la « vocation » est de nous dresser à marcher au pas.

Or, que nous le voulions ou on, nous représentons une force, et qui plus est une force de proximité avec nos patients, sur le terrain. Il suffirait que nous nous serrions les coudes, fassions – une fois n’est pas coutume – « corps » (le corps médical serait-il un vain mot ?) en envoyant paître une bonne fois pour toutes cet ordre des médecins (qui nous muselle), cette Sécu (qui nous insulte, nous accable d’heures supplémentaires non rémunérées et nous asservit), ces mutuelles (qui profitent du gâteau telles les vautours sur le cadavre), cette industrie pharmaceu-fric (qui nous prédate en amont comme en aval, tirant profit de nos gasps d’agonie de hamsters centrifugés par cette cage folle afin de nous faire « mieux » prescrire par épuisement, à tire-larigot, d’où cette ordonnance insensée – moyenne nationale – de 14 à 18 médicaments par jour pour quiconque dépasse les 65 ans…).

Qui viendrait par exemple nous empêcher si demain, collectivement et massivement, nous proclamions notre indépendance professionnelle totale et annoncions un tarif de base à 40 euros non remboursés ? Après tout, les plombiers, qui sont peut-être moins instruits mais certes moins cons que nous, et certainement plus pragmatiques (normal pour des plombiers) n’ont pas d’ordre des plombiers tout juste bon à les ponctionner de 300 euros annuels obligatoires pour les emm… en échange, et facturent leur déplacement 65 euros en moyenne, en se faisant payer pour leur travail, eux !

Jusqu’où ira notre manque d’estime de soi ? De toute façon, qui ne dit mot consent : notre passivité et notre autocensure nous condamnent, d’une façon ou d’une autre, à disparaître. Est-ce là le service que nous entendons rendre à nous-mêmes tout d’abord, et à la collectivité en retour ?

Mon grand-père fut l’une des éminences grises de l’ombre, en tant que « tête de réseau » de l’un des plus grands maquis de notre territoire. Excusez-moi de reprendre, à ma manière, ce flambeau. Mais, pour avoir déjà écopé d’un an d’interdiction d’exercer par l’ordre en tant que l’un des meneurs de la « grève des gardes » de 2002, ne m’en veuillez pas trop de signer d’un pseudonyme. Je connais d’expérience le pouvoir de nuisance de la part de ceux qui se sont auto-proclamés « gardiens de moutons » de notre (belle) profession…

Bien confraternellement,

* Anonyme
Par le Dr Ralbol*

Source : Le Quotidien du Médecin: 9455