Une quarantaine de médecins libéraux, dont une majorité de généralistes, sont décédés des suites du coronavirus. Que représente cette perte selon vous ?
François Hollande : Les médecins de famille se dévouent depuis toujours à leurs patients. Ils sont souvent les premiers à se rendre au chevet des malades. Ils ont continué à le faire pendant cette crise et se sont mis en danger. Les chiffres que vous évoquez prouvent bien – sans utiliser les formules de guerre ou militaires qui me semblent peu adaptées – que les généralistes sont montés en première ligne. Ce qui m’a marqué dans les portraits des victimes, c’est leur diversité géographique et humaine. Beaucoup étaient de l’est de la France, donc les premiers à avoir affronté l’épidémie. D’autres exerçaient en région parisienne, en Auvergne ou dans le Nord. Leur âge (souvent plus de 60 ans) montre que bon nombre avaient choisi de rester en activité, même à temps partiel, car ils étaient conscients que leur départ en retraite aurait provoqué une aggravation de la désertification médicale. Ils se sont donc doublement sacrifiés. Je n’oublie pas les généralistes qui se sont mobilisés auprès des Ehpad. Mon père, qui hélas est décédé durant cette crise, a été accompagné par un médecin dévoué. Ces portraits révèlent aussi le caractère hétérogène de la profession. Certains venaient du Laos, d’Algérie, ou avaient réalisé une partie de leur carrière en Afrique. C’est un corps médical ouvert au monde, qui se dévoue pour la France. Ces femmes et ces hommes ont servi leur pays avec abnégation et humanité.
Au début de l'épidémie, les généralistes ont souvent exercé sans moyens de protection adaptés. Ils sont aujourd’hui les professionnels de santé les plus touchés. Leur rôle dans cette crise a-t-il été négligé ?
F. H. : Il est toujours facile de dire après coup ce qu’il aurait fallu faire. Rétrospectivement, nous avons toujours raison. C’est au moment où les événements se produisent qu’il faut prendre les bonnes décisions. Beaucoup de médecins n’étaient pas conscients des risques qu’ils prenaient. Mais tous ont été à un moment ou un autre en contact avec ce virus, sans toujours disposer des outils de protection indispensables. Il est clair qu’il y a eu notamment un manque de masques mais aussi un défaut d’information, pas seulement envers les médecins mais aussi envers toutes les personnes qui pouvaient être infectées. Il a fallu du temps pour que collectivement, nous prenions conscience que toutes les formules de prévention devaient être utilisées dans le délai le plus court. Certes, il était nécessaire de donner des masques aux hôpitaux, mais il était aussi nécessaire de les porter dès le début de l’épidémie et de les mettre à disposition de tous beaucoup plus tôt.
En tant que président de la République, vous avez eu à gérer des traumatismes collectifs liés aux attentats terroristes. Ici, un corps professionnel est durement touché. Comment l'aider à sortir de cette épreuve ?
F. H. : Je sais par expérience comment un pays peut basculer si on ne répond pas avec fermeté et solidarité à une menace soudaine et cruelle. Cette épidémie nous montre combien notre société est vulnérable. Nous avons été exposés à un fléau tel que nos générations n'en avaient pas connu depuis plus de 80 ans. Pour y répondre, notre système de santé doit être organisé de sorte à utiliser toute la variété de ses forces, hospitalières comme libérales. Cet épisode ne doit pas être une simple crise que l’on traverse intensément et que l’on oublie rapidement. Nous devons, avec les généralistes, en tirer les leçons et tenir compte de leur expérience. Et je fais toute confiance aux organisations représentatives des médecins et à la presse médicale pour cela. Au-delà de l’hommage à rendre aux femmes et aux hommes qui ont fait le sacrifice de leur vie, il faut améliorer notre niveau de réponse pour définir les bonnes pratiques à adopter si une telle situation venait à se reproduire.
La semaine passée s’est ouvert le « Ségur de la Santé ». Les médecins libéraux craignent une réforme essentiellement axée sur l’hôpital. Cela serait-il une erreur de les écarter du débat ?
F. H. : Oui, car si l’on a beaucoup parlé de l’hôpital car l’un des enjeux, pendant cette crise, a porté sur les lits de réanimation, reconnaissons qu’il aurait été impossible d'obtenir les résultats qu’on connaît aujourd’hui sans la mobilisation de tous les personnels de santé. Je pense aux médecins mais aussi aux infirmiers, aux pharmaciens, aux ambulanciers… Ce qui a sûrement manqué au début de l’épidémie, c’est la coordination et la mise en commun de tout ce qui pouvait permettre de prévenir la propagation du virus et d’assurer l’accompagnement des patients. Nous ne devrons jamais oublier ce qu’a fait la médecine de ville durant cette crise.
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