L’engagement du Service de santé des armées en Afghanistan

Les médecins militaires face à la prise de risque

Publié le 26/10/2010
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Dr A. : qu’est-ce que je viens faire dans ce m... ?

« Avant de nous envoyer en Afghanistan, la DRSSA (direction régionale du Service de santé des armées)prend en considération notre disponibilité, en particulier sur le plan familial ; sans nous demander explicitement si nous sommes volontaires, elle intègre le fait que notre réponse peut être négative. Bien sûr, un départ pour Kaboul fait réfléchir tout médecin militaire. Plus jeune, avec une certaine inconscience, je suis moi-même parti pour Sarajevo un peu la fleur au fusil. À 18 ans, l’étudiant qui intègre l’école de Lyon rêve peut-être d’être boulingueur, mais il ne réalise pas toutes les implications de son choix. Aujourd’hui, je considère une mission à Kaboul avec une appréhension légitime. On ne peut pas ne pas se demander : qu’est-ce que je viens f... dans ce m... ? C’est un théâtre où l’on ignore qui sont les amis et qui sont les ennemis ; pour aller récupérer un blessé, il faut traverser des check-points en risquant de se faire tirer dessus. Cela dit, nous sommes formés à l’urgence et aux conditions opérationnelles de soutien de nos forces. »

Dr B. : adressez-vous à la communication

« Je suis parti en Afghanistan l’an dernier sans trop me poser de questions. Je considère que le médecin militaire qui ne veut pas partir n’a qu’à changer de métier. Pour le reste, adressez-vous à notre direction de la communication. »

Dr C. : études payées, retraite et prise de risque

« J’ai anticipé sur l’ordre en me portant volontaire. Compte tenu des impératifs opérationnels, des ressources en personnels qui sont plus rares et des astreintes qui sont celles d’un médecin militaire, j’ai considéré qu’aller en Afghanistan faisait partie de mon métier. Vous ne pouvez pas disposer de certains avantages, comme les études payées ou la retraite, et vous dispenser d’une certaine prise de risque en opération. Pour un médecin, celle-ci n’est pas comparable à celle d’un artilleur ou d’un parachutiste. Elle est certainement moindre que celle subie en Algérie il y a cinquante ans. De surcroît, nous observons une raréfaction du nombre des médecins disponibles, conséquence de la féminisation du service. La pression se fait sentir d’autant plus sur les médecins hommes. Maintenant, si pour remplir sa mission de médecin militaire, je dois exposer ma vie et être tué, il faut l’accepter par avance. Sans être une tête brûlée, cela fait partie du contrat à honorer. »

Dr D. : ça m’ennuie de parler

« Je suis moi-même parti, mais ça m’ennuie de vous en parler. Tout ce que je puis vous dire, c’est qu’on m’a demandé si j’étais disponible. »

Dr E.: la ressource se tarit

« J’ai été volontaire pour partir et je me suis signalé à la DRSSA. Jusqu’à présent, celle-ci se fondait sur le volontariat. Mais la ressource s’est tarie. Pour éviter de se retrouver en Afghanistan, certains mettent en avant des problèmes de conjugopathie, ainsi que des soucis liés aux enfants. Mais cela ne fait que repousser le départ de quelque temps. D’autres se font mettre en congé-maladie. Deux cas de démission ont aussi été évoqués.

Le problème le plus massif découle de la féminisation du SSA. Ceux d’entre nous qui partent en OMLT (Operational Monitoring Liaison Team) sont susceptibles d’être intégrés à l’armée afghane et les femmes en sont exclues. D’autre part, dans les missions de GTIA (groupement tactique interarmes), assez physiques, les femmes sont peu nombreuses. On ne sollicite donc, principalement, que le vivier masculin. Et ce sont toujours les mêmes qui s’y collent. Cela crée un problème, sur lequel nous avions alerté la direction centrale il y a dix ans, en demandant l’instauration de quotas, ou d’épreuves de sélection physique au concours. Maintenant, c’est trop tard, nous avons le nez dedans. Le problème est posé pour Kaboul, comme nous l’avons précédemment vécu en Côte d’Ivoire et dans les Balkans.

Quant à la question fondamentale du sens de mourir pour Kaboul, c’est une interrogation métaphysique que nous n’avons pas à nous poser. Les politiques ont jugé. Quand même, cela ne dispense pas de réfléchir. Qui peut croire à un règlement durable tant que la question du narcotrafic n’aura pas été traitée ? »

Dr F. : pas de reconnaissance pour le service rendu

« Je m’interroge sur la reconnaissance qui nous est exprimée pour notre prise de risque dans ce type de mission. Je ne crois pas que la direction apprécie le service que nous rendons. C’est sans doute lié au fait que nous sommes dirigés par des hospitaliers éloignés des réalités du terrain. Pour ma part, si je sauve un camarade lors d’une opération, c’est ma satisfaction : "pro patria et humanitate", comme dit la devise de mon école. »

Dr G.: revenir entre quatre planches

« J’ai servi précédemment dans la Légion et dans les paras. J’ai fait la guerre du Golfe. En Afghanistan, le niveau de risque est supérieur à celui de la Nouvelle-Calédonie, l’éventualité de revenir d’un théâtre comme celui-là entre quatre planches n’est pas exclue. Mais nous sommes formés pour le prendre et l’assumer. Si un médecin militaire n’est pas d’accord, il faut qu’il change de métier. »

Dr H. : un équilibre à trouver

« En tant que réserviste, je ne suis pas bien placé pour répondre. Mais je vous dirai que, si on m’appelle en Afghanistan, je ne vois pas d’objection à y effectuer une période. On nous parle de prise de risque, mais ne croyez-vous pas qu’un deux-roues sur le périphérique parisien est aussi vulnérable ? Intervenir sous le feu fait partie du métier. La situation n’est pas plus exposée qu’elle n’a l’été pour nos aînés, au cours des dernières décennies, au Tchad, en Yougoslavie, sans parler de l’Algérie.

Dans mon unité, il y a un médecin qui vient de partir pour la deuxième fois. Je pense qu’il vaut mieux s’adresser à des volontaires, pour éviter que certains ne renâclent. En même temps, la discipline doit s’imposer, de la même manière que dans un hôpital il faut appliquer des astreintes, ou, en libéral, un tour de garde. Il faudrait trouver un équilibre entre le volontariat et l’ordre. »

Dr I. : la question de mourir pour Kaboul ne se pose pas

« Je suis rentré il y a dix mois de Kaboul, après y avoir passé six mois. J’ai été désigné sans me porter volontaire pour être médecin-chef d’un poste de secours. Les missions assurées là-bas relèvent du maintien de l’ordre, sous commandement de l’OTAN, elles comportent comme c’est normal un soutien médical. Je crois qu’il serait abusif d’employer le mot de guerre. Nous sommes présents à Kaboul comme à Djibouti ou en Polynésie. La question que posent certains de savoir s’il faudrait mourir pour l’Afghanistan ne se pose pas pour nous. Nous sommes sur place en application d’une décision politique. La seule doctrine du Service de santé des armées, c’est d’aller là où il y a nécessité à assurer le soutien sanitaire et médical. C’est la stricte application de notre devise. Sans états d’âme. »

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN DELAHAYE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8844