Courrier des lecteurs

Etat Covid :  tensions, frustrations et bastons...

Publié le 21/05/2021

1- L’État covid fait main basse sur nos vies

Cet état de siège durablement indéterminé, conduira, espérons-le, à une fusion des savoirs en « neuro-pédo-psychiatrie » avec une refonte des prises en charge des mineurs pour la prévention, les soins comme la protection de l’enfance, cet angle mort des politiques publiques de la jeunesse. Généralistes, pédiatres pédopsychiatres font front commun pour alerter sur les chiffres alarmants du 119 pour l'enfance en danger ; sur les violences, sur la maltraitance, sur les violences conjugales et sexuelles.

Un nouveau service de « protection de l'enfance et de l'adolescence » créé par Le Pr MikaeloffI, neuropédiatre, ouvrira le 5 mai 2021 à l'hôpital Bicêtre. Il coordonnera l’action des pédiatres et des pédopsychiatres avec les partenaires éducation, aide sociale à l’enfance, police et justice, en mettant le jeune au centre d’un réseau de protecteur. La récente nomination d'une pédopsychiatre, le Dr Angèle Consoli, au Conseil scientifique paraît une avancée dans la reconnaissance d'une catastrophe annoncée aux effets à long terme et des carences en pédopsychiatrie, parent pauvre de la psychiatrie, elle-même en disette.

Les petits somatisent, les grands crisent. Le travail en pédopsychiatrie consiste à réparer les liens distendus et rétablir la communication rompue entre parents et enfants.

2- Sans dehors, on se rentre dedans

Si « L’enfer c’est les autres », l’enfer, c’est l’absence de l’Autre. Une semaine de consultations a fait sa moisson de pugilats familiaux et de colères. Marie-Sophie, 16 ans, 1,78 m, avait consulté après un binge drinkink très sévère. Stupéfaite de s’être battue au lycée avec une copine qui l’énervait, elle annonce, penaude, : « J'ai balancé un sèche-linge sur mon papa. Je vais pas m’excuser, ça non ». Clémence 15 ans, 1, 68 m, hurle à son père « dégage ! ». Elle l'insulte, le chasse de la chambre parentale et l'expédie dormir dans le salon. Nul doute que le terrain était miné par la confusion des espaces et de l'intimité de chacun. Anne-Claire, 16 ans, 1,62 m injurie sa mère et fugue chez son père. Arnaud, mince tige de14 ans a grandi de 20 cm en six mois. Mi figue-mi citron, il raconte une bagarre avec son père : « Il était sur moi, j’étais coincé sous lui, j'avais mes genoux sous ses couilles, j'aurais pu les écraser et le rendre impuissant. » Il livre son aimable fantasme en riant, pas dupe. Angelo 14 ans, sous Ritaline depuis 4 ans, suit son bonhomme de chemin : il se contente de faire des blagues téléphoniques à des inconnus, peut-être en résonance avec son origine inconnue : 15 de moyenne, Fortnite limité, contrôle parental bienveillant mais en béton.

Un père se plaint que son fils n’a jamais obéi. « Jusqu’à ses deux ans, il mangeait toutes les deux heures. » Il se décrit et il se voit comme un bon papa tyrannisé par son fils : il ne le tape jamais, ayant souffert d’avoir été « battu et élevé à la dure ». Son garçon me confie qu'il reçoit souvent des grosses claques sur le crâne mais « ça ne me fait plus rien » dit-il en baissant la tête. Des corps d'ados costauds, des cœurs d’enfants, un œdipe mal ficelé, un ego troublé, un narcissisme en mie de pain… le lit des explosions.

Les failles familiales explosent, creusant des abîmes. Les paradoxes éducatifs se dévoilent, fidèle miroir des injonctions contradictoires de la « sécurité sanitaire » versatile mais dogmatique. La fermeture des écoles est inexplicable et incompréhensible, le pouvoir de contamination des enfants n'ayant toujours pas été prouvé.

Les exigences du travail à la maison bouleversent des équilibres précaires. Elles mettent à jour les discordances qui couvaient, révélant les dysfonctionnements familiaux. L'exaspération est à son comble, les relations sont rompues, la communication passe par les insultes et les coups. Les parents inquiets consultent pour des crises colériques ou l'addiction aux jeux vidéo, et dans la semaine qui suit le papa achète les équipements les plus performants !

3- Les parents présents-absents, là - pas là »...

Ils sont devenus inaccessibles, les enfants doivent se faire invisibles et inaudibles. Chacun est vissé sur ses écrans, ses bonbons, ses pizzas. Et la console consolante. : pendant que les parentes télé-travaillent, les enfants jouent, jour et nuit.

L’Observatoire National de l’Activité physique et la Sédentarité a évalué les comportements pendant le confinement de mars à avril 2020. La déstructuration du quotidien avec la modifications des habitudes montre une nette aggravation du mode et de la qualité de vie des mineurs. Plus de la moitié ne dormaient pas assez, ils dorment encore moins, ils avaient peu d’activités physiques, ils bougent encore moins, mangent mal et se gavent de sucreries qui aggravent leur humeur.

Les ordinateurs ont envahi cuisine et salon et le silence absolu doit régner pendant les sacro-saintes call-conf, les enfants doivent être transparents, inexistants, vivre sur la pointe des pieds dans un chez eux-pas chez eux. Leur seule défense est de se faire invisibles, de se réfugier dans un monde virtuel entre jeux vidéo et réseaux sociaux… entraînant de facto la perte du sommeil et les troubles alimentaires.

Dans le huis-clos, la découverte de Janus au visage inconnu de parents agressifs, la coupure des liens et des amitiés enfantines perturbent en profondeur le rapport à l’autre et à soi. Détresse et désolation président dans les familles, les parents désemparés ne sont plus les piliers infaillibles. Le quotidien a volé en éclat. Les repères qui cimentaient les liens, les rituels qui bouchaient les trous relationnels se sont effrités, descellant la confiance dans les adultes, tant les parents que les gouvernants.

Les parents flottent, les enfants somatisent et les adolescents crisent, en privation sensoriel du besoin quasi viscéral de contacts sociaux réels. Ces relations interactives qui façonnent la gestion de leurs émotions s’étiolent. Les colères se déplacent au sein de la famille et c’est la baston. Et c'était une petite semaine de consultation de pédopsychiatrie d'une patientèle pourtant avertie et adaptée en temps normal, tombée dans des pugilats homériques.

4- Des plaintes sans issue et non sans risque : pénurie des lieux d’accueil

Enfants et adolescents, otages des violences conjugales… L’unité médico-judiciaire pédiatrique de l'Hôtel-Dieu et les autres UMJ font face à la recrudescence des situations dramatiques de violences conjugales prenant les enfants en otages. Les petites voix étouffées des plus jeunes doivent être entendues, relayées, défendues. Le premier confinement a doublé les hospitalisations pour maltraitance physique chez petits de moins de 5 ans comparativement aux trois dernières années. Il y a eu plus de bébés secoués et de décès.

Après des années de brutalités, des femmes portent enfin plainte, sentant une dangerosité sans limite, mettant leur vie et celle des enfants en jeu. Mais comment seront-elles protégées ensuite ? En France, l’urgence pour la prise en charge des femmes et les enfants reste une non –urgence. Les services de pédopsychiatrie comme les foyers sont saturés – ils l’ont toujours été – malgré des alarmes lancées depuis des décennies. Urgence ou pas, faire admettre un enfant en pédopsychiatrie, trouver un hébergement pour une mère et ses enfants battus sont des gageures allant de 6 mois au mieux à deux ans voire plus…

5- L’âge bête, l’âge ingrat, l’âge de tous les risques

La tension Covid submerge les ados à une période clef de maturation de l’architecture cérébrale. Sur le plan psychologique, ils baignent dans les tensions anxiogènes inédites. En sur le plan neurologique, ils sont inondés par la seconde vague du réaménagement cérébral. Ils ne contrôlent pas facilement leurs émotions, embarqués dans le branle-bas d’un cerveau se remodelant avec son élagage synaptique et sa substance blanche gonflant comme un soufflé.

Cette maturation risque-t-elle de pâtir des épreuves anormales de désocialisation, de détresses, de violences du huis clos ? Comment réparera-t-on le déluge qui inonde le « jardin cérébral » , comment transformer l'anormalité destructrice qui dure en une norme vivable, potentiellement créatrice de nouveaux référentiels ?

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Dr Isabelle Gautier, Pédopsychiatre, Paris Présidente de l'Association Française des Femmes Médecins

Source : Le Quotidien du médecin