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Amygdalectomie pour angines à répétition : quel intérêt chez l’adulte ?

Publié le 22/09/2023
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Chez l’adulte, l’intérêt de l’amygdalectomie pour angines à répétition n’était pas clairement démontré. Une étude publiée dans le Lancet met en évidence un bénéfice clinique modéré mais les résultats de cet essai randomisé en ouvert sont difficilement interprétables pour la pratique.

Crédit photo : Phanie

THE LANCET

Amygdalectomie versus abstention chez les adultes souffrant d’angines à répétition au Royaume-Uni : un essai randomisé multicentrique en ouvert

Conservative management versus tonsillectomy in adults with recurrent acute tonsillitis in the UK (NATTINA): a multicentre, open label, randomised controlled trial

Wilson JA, O’Hara J, Fouweather T, & al.

Lancet 2023;401:2051-9.

CONTEXTE

Au Royaume-Uni, l’amygdalectomie (1) est l’intervention chirurgicale la plus fréquemment pratiquée au sein du National Health Service (16 000 par an). Au cours des vingt dernières années, la fréquence des amygdalectomies chez l’adulte a diminué de 50 % dans les pays européens alors que les hospitalisations pour angine ont augmenté de 136 % (2). Le niveau de preuve de l’efficacité de l’amygdalectomie chez ces patients est faible (3), ce qui contribue probablement aux différences d’incidences de cette intervention selon les systèmes de santé (4). Enfin, les recommandations actuelles pour l’amygdalectomie de l’adulte sont basées sur celles établies pour les enfants plutôt que sur des essais cliniques spécifiquement menés dans la population adulte.

OBJECTIF

Évaluer l’impact clinique de l’amygdalectomie chez des adultes souffrant d’angines à répétition.

MÉTHODE

Essai randomisé multicentrique pragmatique en ouvert réalisé au Royaume-Uni chez des adultes adressés par leur médecin généraliste dans 27 services ORL hospitaliers. Les patients inclus devaient être âgés d’au moins 16 ans et souffrir d’angines aiguës handicapantes et récidivantes (au moins 7 épisodes dans la dernière année ou 5 par an au cours des 2 années précédentes, ou 3 par an pendant les 3 années précédentes). Ils ont été randomisés (avec leur consentement) pour « bénéficier » d’une amygdalectomie dans les 8 semaines post-randomisation ou d’une surveillance clinique standard pendant 24 mois (groupe témoin). La randomisation a été stratifiée sur les centres investigateurs et le résultat du Tonsil outcome inventory-14 score (TOI-14) à l’inclusion (score de 0 à 70 points ; plus il est élevé, plus les symptômes sont sévères).

Le critère de jugement principal était le nombre de jours avec mal de gorge dans les 24 mois post-randomisation mesuré par une réponse des patients à un message texte distribué une fois par semaine. Les critères secondaires (non hiérarchisés) étaient le TOI-14 à 6, 12, 18 et 24 mois et la qualité de vie mesurée par l’échelle SF-12 aux mêmes moments. L’analyse statistique sur le critère principal a été faite en intention de traiter (patients ayant répondu à tous les messages relatifs au critère principal) à l’aide d’un modèle de régression multivarié binomial ajusté sur les facteurs de stratification (service investigateur et niveau d’intensité des symptômes : faible, modéré ou sévère).

RÉSULTATS

Entre mai 2015 et avril 2018, 4 165 patients ont été considérés comme éligibles et 453 ont été inclus : 233 dans le groupe amygdalectomie et 220 dans le groupe témoin. 95 % d’entre eux (224 et 205) ont été inclus dans l’analyse principale finale. Les 24 autres n’ont jamais répondu aux messages textes. Les caractéristiques médicales et démographiques des patients inclus étaient similaires. La moyenne d’âge était de 23 ans et 78 % étaient de genre féminin. Le TOI-14 médian à l’inclusion était de 44 points avec une répartition équilibrée entre TOI-14 d’intensité légère (21 %), modérée (42 %) et sévère (27 %) dans les deux groupes.

Le nombre médian de jours avec mal de gorge pendant les 24 mois de suivi était de 23 (interquartile = 11-46) dans le groupe amygdalectomie et de 30 (interquartile = 14-65) dans le groupe témoin soit une différence absolue de 7 jours. Après ajustement sur les facteurs de stratification, le risque relatif d’incidence du critère principal était de 0,53 (IC95 % = 0,43-0,65, p < 0,0001) dans le groupe amygdalectomie versus témoin. Il y a également eu une différence significative (p < 0,0001 non hiérarchisé) sur le TOI-14 à 6, 12, 18 et 24 mois en faveur du groupe amygdalectomie sans information sur l’éventuelle pertinence clinique de cette différence putative. Compte tenu de la randomisation en ouvert, cette différence sur ce critère secondaire et les résultats sur la qualité de vie mesurée via le SF-12 sont ininterprétables.

Enfin, l’effet indésirable le plus fréquent était l’hémorragie post-intervention dans le groupe amygdalectomie (19 %) versus 0 % dans le groupe témoin. À la marge, l’amygdalectomie a été considérée comme efficiente (meilleur rapport coût-efficacité) versus traitement conservateur.

COMMENTAIRES

Les résultats de cet essai randomisé pragmatique correctement conçu et conduit, mais randomisé en ouvert, montrent que l’amygdalectomie réduirait le nombre de jours avec mal de gorge de 7 unités comparativement à l’abstention chirurgicale dans les 24 mois suivant l’intervention. Pour mémoire, la méta-analyse Cochrane (3) publiée en 2014 indiquait une différence de 10,6 jours (seulement 6 mois de suivi) sur ce même critère en faveur de la chirurgie.

Les principaux problèmes méthodologiques de ce travail sont la randomisation en ouvert et le choix de critères de jugement subjectifs, de plus renseignés par les patients qui savaient parfaitement à quel groupe ils avaient été alloués. De plus, la proportion de patients ayant rempli 80 % des informations demandées au cours de 24 mois a été de +10 % dans le groupe chirurgie vs témoin, ce qui augmente encore le fort risque de biais de la randomisation en ouvert avec critères de jugement subjectifs. Enfin, la traduction en anglais du TOI-14 score, échelle d’origine allemande (10), n’est pas validée. Faire un essai avec une procédure « fantôme » un peu douloureuse pour les patients du groupe témoin et/ou faire évaluer les critères de jugement par un groupe de chirurgiens indépendant en insu de la randomisation était délicat mais pas totalement impossible (6).

Au total, compte tenu du fort risque de biais, les résultats de cet essai sont à considérer avec précautions et l’impression globale et subjective du rédacteur de ces lignes, à la lecture de ce travail publié dans le Lancet, est que le critère principal était plutôt d’ordre économique dans l‘esprit des chercheurs

En pratique quotidienne, il est toujours possible d’expliquer à un patient adulte souffrant d’angines aiguës à répétition qu’il gagnera 7 jours sans maux de gorge dans les 2 années suivantes s’il se fait opérer, mais sans omettre de l’informer également qu’il aura un peu mal à la gorge pendant les 14 jours qui suivront l’éventuelle intervention chirurgicale.

BIBLIOGRAPHIE

1. National Health Service. Hospital episode statistics, admitted patient care England, 2009-10. 2010. 

2. Douglas CM, Altmyer U, Cottom L, Young D, Redding P, Clark LJ. A 20-year observational cohort of a 5 million patient population tonsillectomy rates in the context of two national policy changes. Clin Otolaryngol 2019; 44:7-13.

3. Burton MJ, Glasziou PP, Chong LY, Venekamp RP. Tonsillectomy or adenotonsillectomy versus non-surgical treatment for chronic/recurrent acute tonsillitis. Cochrane Database Syst Rev 2014:CD001802.

4. Crowson MG, Ryan MA, Rocke DJ, Raynor EM, Puscas L. Variation in tonsillectomy rates by health care system type. Int J Pediatr Otorhinolaryngol 2017;94:40-44.

5. Skevas T, Klingmann C, Plinkert PK, Baumann I. Development and validation of the tonsillectomy outcome inventory 14. HNO 2012;60: 801-06 (in German).

6. Cook JA. The challenges faced in the design, conduct and analysis of surgical randomised controlled trials. Trials 2009;10:9.

Docteur Santa Félibre, généraliste enseignant

Source : Le Quotidien du médecin