INTRODUCTION
À tous les âges de la vie, les corticoïdes inhalés (CI) sont la base du traitement de fond de l’asthme. Selon le GINA (Global Initiative for Asthma), ils diminuent l’inflammation et l’hyperréactivité bronchiques (HRB), l’importance de la réaction tardive aux allergènes, les symptômes d’asthme et les risques d’exacerbation (1).
→ Ils sont indiqués dès le stade d’asthme persistant léger caractérisé par :
– des symptômes survenant moins de 3 j/semaine ;
– des réveils nocturnes trois à quatre fois par mois ;
– l’utilisation de bêta2-agonistes de courte durée d’action (B2CA) moins de trois jours par semaine ;
– l’absence de limitation des activités ;
– une fonction respiratoire (EFR) normale entre les exacerbations (VEMS de 80 % des valeurs connues ou attendues) ;
– aucune exacerbation (ou à la rigueur une) au cours de l’année précédente.
→ Rappelons que la définition d’une « exacerbation » (anciennement « attaque d’asthme ») est une « période de dégradation progressive, durant deux jours au moins, d'un ou plusieurs signes cliniques (qui précèdent habituellement la dégradation de l’EFR) ainsi que des paramètres fonctionnels d'obstruction bronchique ».
Toutefois, il est admis que les CI ne modifient pas l’évolution globale de la maladie asthmatique, même s’ils réduisent l’inflammation et le remodelage des bronches (2).
PRÉVENTION DES EXACERBATIONS
Lorsqu’un patient reçoit un traitement de fond à base de CI, la question est de connaître la conduite à tenir lorsqu’il se trouve dans la zone jaune qui caractérise « l’aggravation de l’asthme ».
→ Cette situation est identifiable par le patient lui-même selon l’existence des critères suivants : « Je ne me sens pas bien » ; « Mon débit expiratoire de pointe est dans la zone jaune (entre 80 et 50 %) de mes meilleures valeurs » ; « J’ai un des symptômes suivants : sifflements dans la poitrine, sensation de poitrine serrée, toux, essoufflement, réveils nocturnes avec des symptômes d’asthme, diminution de ma capacité à effectuer mes activités habituelles. » (3)
→ À ce stade, au domicile, dès les premiers signes d’aggravation chez les patients recevant déjà un CI, il a été recommandé d’augmenter leurs doses, en doublant ou même en quadruplant la posologie, dans le but de prévenir les exacerbations nécessitant une corticothérapie par voie orale (1, 4).
→ Toutefois, une méta-analyse récente a montré qu’il n’était pas prouvé que le doublement de la posologie des CI était capable d’éviter ces exacerbations chez les enfants asthmatiques traités par les CI (5). D’autres études ont suggéré qu’un quadruplement des doses serait plus efficace (3).
→ Deux travaux récents, de Jackson et coll. (6) chez l’enfant et de McKeever et coll. chez les adolescents et les adultes ont rééxaminé cette question : les premiers ont étudié les effets d’un quintuplement des doses de CI, les seconds ceux d’un quadruplement. Ces deux études cliniques importantes sont cependant différentes dans leur protocole, les populations étudiées et les résultats obtenus.
L’ÉTUDE PÉDIATRIQUE (6)
Protocole
254 enfants âgés de 5 à 11 ans et atteints d’asthme persistant léger à modéré ont été inclus, tous ayant eu au moins une exacerbation l’année précédente et recevant depuis 48 semaines des faibles doses de CI (propionate de fluticasone, deux inhalations de 44 mg deux fois par jour). Aux premiers signes de perte de contrôle de l’asthme (entrée dans la zone jaune), certains ont continué de recevoir la même dose de CI (groupe à dose faible), d'autres ont reçu un quintuplement (groupe à dose forte, soit 220 mg par inhalation, deux bouffées deux fois par jour pendant sept jours) (6).
→ Les critères de perte de contrôle de l’asthme (entrée dans la zone jaune) étaient plus de 6 inhalations de B2CA (albutérol) en six heures, ou plus de 12 en 24 heures, des réveils nocturnes conduisant à l’utilisation d’un B2CA pendant deux à trois nuits consécutives, ou enfin huit inhalations ou plus de B2CA pendant deux ou trois jours consécutifs (6).
→ Le principal critère d’évaluation était le pourcentage des exacerbations traitées par les corticoïdes par voie générale. Les critères accessoires étaient le moment de survenue de la première exacerbation en une année, l’importance de l’utilisation de l’albutérol en zone jaune, les admissions non programmées dans les services d’urgence, les consultations urgentes et les hospitalisations pour asthme, la dose totale de glucocorticoïdes utilisée (CI + corticoïdes par voie générale), la croissance staturale.
→ Entre août 2014 et mars 2016, 444 enfants ont été enrôlés, parmi lesquels 190 ont été exclus en phase d’inclusion car incapables de remplir correctement le tableau de bord électronique. Finalement, l’étude a porté sur 192 participants, 93 dans le groupe à forte dose et 98 dans le groupe à faible dose, nombres suffisants pour une exploitation statistique.
→ Dans l’ensemble, le fait de quintupler la dose des CI n'a pas permis de diminuer la fréquence les exacerbations de l’asthme, les symptômes d’asthme, ou l'utilisation des B2CA, ni même de retarder le moment d’entrée des patients dans la zone jaune. Ainsi, 40,8 % (38/93) des patients du groupe forte dose et 30,6 % (30/98) de ceux du groupe faible dose ont développé une exacerbation, soit une différence non significative. Ces résultats traduisent une fréquence des exacerbations de 0,48/an dans le groupe forte dose et de 0,37/an dans le groupe faible dose (p = 0,30). Le délai de survenue des exacerbations n’était pas différent (p = 0,20). Quatre hospitalisations ont eu lieu dans le groupe forte dose. La perte de taille dans le groupe forte dose était de 0,23 cm inférieure à celle du groupe faible dose, mais non significative (p = 0,06) (6).
Résultats et commentaires
→ Finalement, 81 % des patients du groupe qui recevait les CI à dose faible en phase jaune n’ont pas développé une exacerbation et n’ont pas eu besoin de corticoïdes par voie générale. Ce chiffre rend probablement compte du « bénéfice perçu par les cliniciens et les familles », imaginant utile l’augmentation des doses de CI. Toutefois, chez les enfants, la multiplication par 5 des doses de CI ne nous paraît pas recommandée d’autant qu’elle peut augmenter la réplication des virus et favoriser les infections virales (8). De plus, entrer dans la zone jaune n'implique pas forcément une évolution obligatoire (ou fort probable) vers une aggravation de l’asthme.
RÉSULTATS D'UNE ÉTUDE CHEZ LES ADOLESCENTS ET LES ADULTES
Chez l’adulte et l’adolescent, McKeever et coll. (7) ont évalué l'efficacité d’un quadruplement des doses de CI pour éviter la survenue d’une exacerbation.
Protocole
Cette étude pragmatique, ouverte et randomisée incluait 1 800 asthmatiques adolescents et adultes recevant des CI avec ou sans traitement additif, et ayant eu au moins une exacerbation sur l’année écoulée. Les auteurs ont comparé le plan d’action des patients : il comportait, dès les premiers signes de perte de contrôle de l’asthme dans la zone 2 (selon l’Asthma UK) (9), soit une multiplication par 4 des doses de CI (groupe quadruplement), soit la poursuite des mêmes doses. Le critère principal d’évaluation était le délai de survenue de la première exacerbation sévère d’asthme, définie par un traitement par corticoïdes (voie générale) ou par une consultation non programmée pour asthme.
À 30 000 sollicitations écrites, les auteurs ont reçu 4 811 réponses. Ils ont finalement retenu 1 871 patients pour la randomisation, 933 dans le groupe quadruplement des doses et 938 dans le groupe doses inchangées. Parmi les participants âgés en moyenne de 57 ± 15 ans et de sexe féminin à 68 %, 1 495 (78 %) recevaient 1 000 mg/jour ou plus de dipropionate de béclométhasone (ou équivalent), et 1344 (70 %) utilisaient des bêta-2-mimétiques de longue durée d’action (B2LA) (7).
Résultats et commentaires
→ Globalement, le nombre de patients qui ont présenté une exacerbation sévère d’asthme pendant l’année suivant la randomisation fut de 420 (45 %) dans le groupe quadruplement des doses et de 484 (52 %) dans le groupe doses inchangées (hazard ratio de 0,81 ; IC : 0,71-0,92 ; p = 0,002) (7). Cette étude montre qu’il y a eu moins d’exacerbations sévères lorsque les patients ont augmenté la posologie de CI d’un facteur de 4 (7).
→ Toutefois, les biais de cette étude sont importants : les plans d’action étaient laissés au libre choix des patients, les doses de CI n’étaient pas homogènes (certains recevant une dose initiale de moins de 1 000 mg/jour, d’autres davantage), l’étude était ouverte, les traitements additionnels (B2LA) étaient permis. Pour toutes ces raisons, elle est beaucoup plus difficile à analyser que la première, même si elle fournit un résultat assez semblable (7).
CONCLUSIONS
→ Contrairement à une opinion communément admise, multiplier la dose du traitement de fond par les CI par 4 ou 5 n’évite pas la survenue des exacerbations lorsque les premiers signes de perte de contrôle de l’asthme commencent à apparaître. Ainsi, ces études ne sont pas en faveur de l’utilisation systématique de fortes doses de CI pendant une semaine pour éviter les exacerbations, d’autant qu’il existe un risque de suppression de la fonction surrénalienne.
Toutefois, individuellement, certains patients peuvent répondre à un tel protocole. Si actuellement ils ne sont pas réellement identifiables, les cliniciens doivent travailler à préciser le phénotype des « répondeurs à une forte multiplication des doses de CI ». Il est possible que les éléments suivants en fassent partie : l’infection ; le défaut d’adhésion au traitement ; l’exposition aux allergènes ou aux polluants, etc. Pour l’instant, de nouvelles études sont nécessaires et il faut suivre les recommandations émises « à l’entrée imminente dans la zone rouge » (1, 3). Mais cela est une autre question.
Bibliographie
1. Global Initiative for asthma. Global strategy for asthma management and prevention ; 2014, www.ginasthma.org.
2. Murray CS, Woodcock A, Langley M, et al. Secondary prevention of asthma by the use of inhaled fluticasone propionate in Wheezy Infants (IFWIN) : double-blind, randomized, controlled study. Lancet 2006 ; 368(9537) : 754-62.
3. Holgate ST, Thomas M. Asthme. In « Allergologie. Le Middleton ». R. O’Hehir, ST Holgate, Sheikh A. Traduction française : Dutau G., Elsevier-Masson, 2018, p. 137-195.
4. Foresi A, Morelli MC, Catena E. Low dose budesonide with the addition of an increased dose during exacerbations is effective in long-term control of asthma. On behalf of the Italian Study Group. Chest 2000 ; 17 : 440-6.
5. Kew KM, Quinn M, Quon BS, Ducharme FM. Increased versus stable doses of inhaled corticosteroids for exacerbations of chronic asthma in adults and children. Cochrane Database Syst Rev 2016 ; 6 : CD007524.
6. Jackson DJ, Bacharier LB, Mauger DT, et al. Quintupling inhaled gmucocorticoids to prevent childhood asthmaa exacerbations. N Engl J Med 2018 ; 378 : 891-901.
7. McKeever T, Mortimer K, Wilson A, et al. Quadrupling inhaled glucocorticoids dose to abort asthma exacerbations. N Engl J Med 2018 ; 378 : 891-901.
8.. Thomas BJ, Porritt RA, Hertzog PJ, Bardin PG, Tate MD. Glucocorticosteroids enhance replication of respiratory viruses: effect of adjuvant interferon. Sci Rep 2014; 4: 7176-81.
9. Asthma UK asthma action plans. London: Asthma UK (https:/ / www .asthma .org .uk/ advice/ manage-your-asthma/ action-plan/ ).
Liens d'intérêts
Aucun
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