Proctologie

L’ABCÈS DE LA MARGE ANALE

Publié le 25/09/2015
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C'est à partir d'une glande anale que se forme un abcès anal, dans l'épaisseur de la paroi canalaire. à partir de la poche, le pus s'étend via des fistules pour sourdre à travers la peau autour de l'anus. Que faire ? Que ne pas faire ? Quelle urgence ?

L’OBSERVATION


Julie, 27 ans, vient consulter en urgence pour une douleur violente à l'anus qui irradie dans la fesse. Elle peine à marcher et à s'asseoir. C'est la première fois qu'elle ressent une telle douleur. Elle est apparue deux jours auparavant.
Au début, elle a été calmée par de l’ibuprofène (400 mg par jour) , mais dans la nuit la douleur est devenue très intense. Elle n'est pas allée à la selle depuis le début de la douleur, d'autant plus que quelques jours auparavant elle avait eu de la diarrhée pendant 48 heures. Il n'y a pas d'antécédents particuliers sauf sa mère qui a été opérée des hémorroïdes. Le toucher rectal est impossible.



À L'EXAMEN VOUS CONSTATEZ 

Sur le bord latéral droit, on observe un placard érythémateux, infiltré, chaud et douloureux à la palpation.

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VOTRE DIAGNOSTIC 

Le diagnostic est celui d'abcès anal. La suppuration siège au bord de la marge anale dans les tissus conjonctifs des espaces péri-anaux. 
 
- Il s'agit ici d'une infection qui a débuté dans le canal (là où siègent les glandes anales) possiblement favorisée par la diarrhée (voir schéma). 

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La maladie débute par une propagation bactérienne à travers les tissus mous autour du canal anal ; à ce stade, on parle d'abcès.
Le point de départ est appelé orifice primaire. L'inflammation limite la diffusion de l'infection ; le centre de la zone se creuse d'une cavité dans laquelle se collecte le pus.
C'est le stade d'abcès collecté. Il forme une voussure exquisément douloureuse qui va finir par se percer spontanément au niveau d'une zone de sphacèle.

 

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L'orifice de sortie est appelé « orifice secondaire ».
Le trajet qui fait communiquer l'orifice primaire et l'orifice secondaire constitue la fistule anale proprement dite. Abcès et fistule anale sont donc la même maladie à des stades évolutifs différents.

- Les anti-inflammatoires non stéroïdiens soulagent la douleur mais sont contre-indiqués en cas d'infection non traitée. Au minimum, ils aggravent l'infection, au pire, ils entraînent un septis sévère à type de gangrène périnéale. D'où la nécessité de toujours examiner le patient.

 

CE QU'IL FAUT FAIRE 

Il faut soulager la patiente. Au stade d'abcès collecté, on évacue le pus par une incision soit sous anesthésie locale, soit sous anesthésie générale. 
 
Les antibiotiques ne sont une alternative que dans les formes toutes débutantes, quand l'abcès n'est pas collecté. Mais on déroge alors au traitement de référence et la récidive est fréquente. Les antibiotiques ont même été accusés de favoriser l'extension torpide des fistules si l'infection est mal contrôlée. On les réserve donc si il y a une contre-indication absolue à un drainage local (nouveaux anticoagulants) ou pour un problème spécifique (terrain particulier [immunodéprimé, chimiothérapie en cours, hémopathie], contraintes personnelles [veille de concours, forte contrainte professionnelle, etc.]). Enfin, quel que soit le stade de la maladie, il faut prescrire des antalgiques non salicylés. Le drainage effectué, les anti inflammatoires redeviennent utilisables.
 
- Chez un sujet jeune il faut penser à une maladie de Crohn, surtout en cas de diarrhée chronique associée, de modification de la marge (cicatrice d'abcès préalables, excroissances inflammatoires, ulcérations cutanées). La porte d'entrée peut-être aussi une banale fissure ancienne qui a fini par s'infecter.

 

CE QU'IL NE FAUT PAS FAIRE

Dans tous les cas le patient doit être examiné et on ne doit pas se contenter de l'auto-diagnostic d'hémorroïdes ou de «furoncle ».
Il ne faut pas confondre l’abcès anal avec une autre suppuration de la région : furoncle, sinus pilonidal. Ce dernier se développe plutôt en regard du coccyx (photo 3).

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Il est le point de départ d'une infection du derme rétrosacré, qui s'étend vers le haut. Il est rare que la suppuration descende au voisinage de la marge. Le furoncle se développe à distance de la zone anale suite à l'infection d'un follicule pileux. Le nodule inflammatoire est plus superficiel et bien circonscrit évoluant successivement vers une pustule puis une nécrose par où s'éliminent les tissus nécrosés (le bourbillon). 
 
- Dans les formes habituelles d'abcès anal, il n'est pas nécessaire de faire des explorations complémentaires. Il n'est notamment pas nécessaire de faire une IRM. La majorité des supputations correspondent à des formes simples, ce qui ne nécessite pas d'examen supplémentaire.
 
Une fois le pus évacué, la tension douloureuse disparaît très rapidement. On peut même rapidement ne plus voire la zone abcédée. Il ne faut pas affirmer au patient qu'il est guéri.
Dans plus de la moitié des cas la persistance de l'orifice primaire aboutit à une récidive qui peut se faire sur le même mode (abcès bruyant) ou sur un mode torpide avec constitution d'une fistule anale chronique. Il faut informer le patient de cette possibilité de récidive.
Rappelons enfin que les antibiotiques ne doivent pas être donnés systématiquement et que les pommades contenant des antibiotiques n'ont aucun intérêt dans une infection profonde. 

 

TRAITEMENT IMMÉDIAT
 

1- Informer le patient, recommander une incision.
 
2- Réaliser soi-même l'incision (après avoir vérifié l'absence de contre-indication ; la prise d'aspirine ne contre-indique pas une incision simple).
 
3- Si on adresse le patient pour une incision, on lui recommande de rester à jeun (le correspondant – ou le patient – peut souhaiter faire le drainage sous anesthésie).
 
4- Prescrire un antalgique et un laxatif, des pansements auto adhésifs, une solution désinfectante pour limiter la contamination de la marge (mais sans effet direct sur l'abcès anal).
 
5- Demander à revoir le patient ultérieurement, en dehors du contexte de l'urgence, pour vérifier l'absence de pathologie associée, s'assurer de l'absence d'indication d'examens (coloscopie, biologie) et donner des informations complémentaires. 

 


Dr Philippe Godeberge (Unité de Proctologie, Institut Mutualiste Montsouris - Clinique du Trocadéro - Université Paris V. Email : philippe.godeberge@wanadoo.fr)

Source : Le Généraliste: 2730