Pneumologie

LES FORTES DOSES DE CORTICOÏDES INHALÉS DANS L'ASTHME

Publié le 25/05/2018
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Deux articles récemment publiés dans la même édition du NEJM sur les fortes doses de corticoïdes inhalés en prévention des exacerbations d’asthme, l’une chez l’enfant, l’autre chez l’adulte, ont des conclusions différentes. Cette stratégie est inefficace, voire délétère chez les enfants, et efficace chez les adultes (réduction des exacerbations sévères). Cette différence trouve son explication dans les designs d’essais.
Inhalation

Inhalation
Crédit photo : IAN HOOTON/SPL/PHANIE

Quintupler ou quadrupler la posologie des corticoïdes inhalés pour éviter/avorter les exacerbations asthmatiques de l’enfant et l’adulte.

Jackson DJ, Bacharier LB, Mauger DT et al. Quintupling Inhaled Glucocorticoids to Prevent Childhood Asthma Exacerbations. N Eng J Med 2018;378:891-901.

McKeever T, Mortimer K, Wilson A, et al. Quadrupling Inhaled Glucocorticoid Dose to Abort Asthma Exacerbations. N Eng J Med 2018;378:902-10.

CONTEXTE

Chez les enfants comme chez les adultes, les corticoïdes inhalés (CSI), associés ou non à d’autres classes pharmacologiques, sont la pierre angulaire du traitement de fond de l’asthme.

Quel que soit le contrôle de leur maladie, tous les patients sont exposés à des exacerbations (1) au gré d’infections virales ou bactériennes, de contacts avec un allergène ou de la pollution environnementale, ou d’une mauvaise observance (2).

→ Ces épisodes aigus se caractérisent le plus souvent par une altération de la fonction respiratoire et une acutisation des symptômes pouvant conduire à une hospitalisation, y compris en unité de soins intensifs, même si cette dernière éventualité est devenue très rare. Les recommandations internationales considèrent la prévention des exacerbations comme la priorité du traitement de l’asthme (3).

OBJECTIFS

Évaluer l’efficacité et la tolérance d’un quintuplement de la posologie de CSI (chez l’enfant) et d’un quadruplement (chez l’adulte) sur la survenue d’exacerbations sévères d’asthme lors d’un épisode de perte de contrôle de la maladie.

MÉTHODE

Chez l'enfant

L'essai était randomisé en double insu vs témoins. Les enfants inclus devaient être âgés de 5 à 11 ans, avoir fait au moins une exacerbation dans l’année précédente, être atteints d’un asthme persistant modéré à sévère traité par 88 μg de fluticasone 2 fois par jour, et contrôlé avec cette posologie (score C-ATC > 19). Dès le début d’un épisode de “perte de contrôle” de l’asthme, les enfants randomisés dans le groupe intervention devaient utiliser un nouvel inhalateur délivrant 440 μg de fluticasone 2 fois par jour pendant 7 jours. Ceux du groupe témoin devaient également utiliser un nouvel inhalateur, qui lui ne délivrait que la même dose de 88 μg deux fois par jour.

→ Un épisode de “perte de contrôle” de l’asthme était défini comme une nette augmentation de la consommation de bêta2 mimétiques à courte durée d’action (SABA), ou comme au moins deux nuits consécutives avec réveils ayant nécessité au moins une inhalation de SABA. Les enfants, les parents, les investigateurs et les évaluateurs des événements cliniques étaient tous en insu du traitement alloué. Le critère de jugement principal était le nombre d’exacerbations sévères par patient dans l’année, définies comme la prise d’un traitement corticoïde per os sur avis médical. Les principaux critères secondaires étaient le délai entre la date de la randomisation et celle de la première exacerbation sévère, et les consultations non programmées aux urgences ou auprès d’un professionnel de santé.

Chez l'adulte

→ L'essai était randomisé en ouvert vs témoins. Les patients inclus devaient être âgés de plus de 16 ans, être atteints d’un asthme modéré à sévère en cours de traitement et avoir souffert d’au moins une exacerbation traitée par corticoïdes systémiques dans les 12 derniers mois.

Dans le groupe intervention, les patients devaient quadrupler leur posologie personnelle de CSI et éventuellement augmenter la posologie d’un éventuel bêta2 mimétique à longue durée d’action (LABA) jusqu’au retour à l’état antérieur (ou maximum 14 jours) dès les premiers symptômes d’une « perte de contrôle » de l’asthme. Cette dernière était définie par une augmentation de la consommation de SABA, des réveils nocturnes liés à l’asthme, ou un peak-flow < 80 % vs la valeur habituelle. Si les symptômes s’aggravaient, ils devaient prendre des corticoïdes per os ou consulter leur médecin dans les 24 heures.

Dans le groupe témoin, si les symptômes s’aggravaient les patients conservaient leur posologie individuelle de CSI, pouvaient augmenter leur consommation de LABA et avaient les mêmes instructions de recours aux corticoïdes et/ou aux professionnels de santé.

Le critère principal de jugement était la proportion de patients souffrant d’une première exacerbation sévère définie par un traitement corticoïde systémique ou une visite non programmée à un professionnel de santé. Le principal critère secondaire était le délai entre la date de la randomisation et celle de la première exacerbation sévère.

RÉSULTATS

Chez l'enfant

→ Sur les 254 enfants sélectionnés, 127 ont été randomisés dans le groupe quintuplement et 127 dans le groupe témoin. Ils étaient âgés en moyenne de 8 ans, 64 % étaient des garçons, 38 % étaient exposés au tabac et 60 % avaient un eczéma. Le nombre moyen de traitements corticoïdes reçus l’année précédente était de 1,8, celui de visites aux urgences de 2,0 et 12 % d’entre eux avaient été hospitalisés. Pendant l’essai, le nombre annuel moyen d’épisodes de “perte de contrôle” de l’asthme a été comparable dans les 2 groupes : 2,01 et 1,96.

→ Sur le critère principal, le nombre d’exacerbations sévères annuelles par enfant a été de 0,48 dans le groupe quintuplement et de 0,37 dans le groupe témoin, risque relatif (RR) = 1,30 ; IC95 % = 0,80 - 2,10, p = 0,30. La proportion d’enfants ayant reçu un traitement corticoïde systémique a été de 29,9 % dans le groupe quintuplement et de 23,6 % dans le groupe témoin (ns). Enfin, la taille des enfants a augmenté de 5,65 cm en 1 an dans le groupe témoin vs 5,43 cm dans le groupe quintuplement : différence = - 0,23 cm en défaveur de ce dernier, p = 0,06.

Chez l'adulte

→ 957 adultes ont été randomisés dans le groupe quadruplement et 965 dans le groupe témoin. Il n’y avait pas de différence entre les groupes à l’inclusion : âge = 57 ans, femmes = 68 %, médiane de béclométasone ou équivalent par jour = 800 μg, et 70 % prenaient une bithérapie CSI + LABA. Sur le critère principal, 420 (45 %) patients du groupe quadruplement ont fait une exacerbation sévère dans l’année vs 484 (52 %) dans le groupe témoin : hazard-ratio = 0,81 ; IC95 % = 0,71 - 0,92, p = 0,0002. La proportion de patients ayant consommé des corticoïdes per os a été significativement moins élevée dans le groupe quadruplement : 33 % vs 40 %, RR = 0,82 ; IC95 % = 0,70-0,96. Il en était de même pour le taux de patients ayant eu recours à une consultation non programmée auprès d’un professionnel de santé : 41 % vs 47 %, RR = 0,84 ; IC95 % = 0,75-0,99.

COMMENTAIRES

La lecture de ces deux très intéressants travaux publiés dans le même numéro du New England (enfants américains, adultes britanniques) pourrait aboutir à la conclusion suivante : quand l’asthme échappe au contrôle, il est inutile (voire délétère) d’augmenter considérablement les doses de CSI chez l’enfant, et efficace chez l’adulte car cela évite ou avorte des exacerbations sévères.

→ Ces deux essais, indépendants l’un de l’autre, sont apparemment similaires en termes de méthode, de stratégie thérapeutique testée, de sévérité de la maladie, de durée de traitement, de choix et définitions des critères de jugement, d’analyse statistique, etc. De ce fait, quelles sont les raisons susceptibles d’expliquer qu’une même stratégie thérapeutique soit inefficace chez les enfants et modestement bénéfique chez les adultes ? Pour répondre à cette question, il suffit de se replonger dans le design des essais et de repérer que celui des enfants était en double insu et celui des adultes en ouvert, ce qui a profondément impacté les comportements des patients alloués à aux groupes témoins des deux essais. Par exemple, sur le critère “recours non programmé à un professionnel de santé”, la proportion a été de 23,6 % dans l’essai enfants et de 40 % dans l’essai adultes, ce qui démontre que les adultes témoins qui savaient que leur posologie de CSI n’était pas augmentée ont beaucoup plus consulté (probablement par anxiété) que les enfants (et leurs parents) qui ne le savaient pas. Au total, il y a eu beaucoup plus d'évènements dans l’essai adultes, ce qui facilite la démonstration statistique, et les résultats de l’essai enfants sont méthodologiquement beaucoup plus solides que ceux de l’essai adultes qui a un niveau de preuve discutable.

→ En pratique, les posologies utilisées dans cet essai étaient le double de celles maximales autorisées dans l’AMM : 400 μg/j de fluticasone chez les enfants et de 2 000 μg/j de béclométasone chez les adultes. Il n’y a aucun argument scientifique solide pour augmenter ces doses en cas de perte de contrôle de l’asthme, quel que soit l’âge. Les futures méthodes de phénotypage de cette maladie permettront peut-être d’identifier les patients les plus à même de bénéficier d’une telle stratégie (4,5).

Bibliographie

1- Israel E, Reddel HK. Severe and difficult-to-treat asthma in adults. N Engl J Med 2017;377:965-76.

2- Kim CK, Callaway Z, Gern JE. Viral infections and associated factors that promote acute exacerbations of asthma. Allergy Asthma Immunol Res 2018;10:12-7.

3- Global Initiative for Asthma (GINA). Global strategy for asthma management and prevention 2017. http://ginasthma.org/2017-gina-report-global-strategy-for-asthma-manage…

4- Bruning AHL, Leeflang MMG, Vos JMBW, et al. Rapid tests for influenza, respiratory syncytial virus, and other respiratory viruses: a systematic review and meta-analysis. Clin Infect Dis 2017;65:1026-32.

5- Bos LD, Sterk PJ, Fowler SJ. Breathomics in the setting of asthma and chronic obstructive pulmonary disease. J Allergy Clin Immunol 2016;138:970-6.

 

Dr Santa Félibre (généraliste enseignant)

Source : Le Généraliste: 2836