Effets indésirables des statines observés en double insu dans l’essai randomisé ASCOT-LLA et dans sa phase d’extension non randomisée en ouvert Gupta A, Thompson D, Collier T, et al for the ASCOT investigators. Adverse events associated with unblinded, but not with blinded, statin therapy in the ASCOT-LLA trial : a randomized double-blind placebo-controlled trial and its non-randomized non-blind extension phase, Lancet. http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(17)31075-9
CONTEXTE
Dans les essais randomisés en double insu relatifs aux statines, le taux d’effets indésirables (en particulier musculaires) observé dans le groupe traité est d’environ 2 % et non significativement différent de celui des groupes placebo. En revanche, les études observationnelles dont les résultats sont le plus souvent issus d’analyses de bases de données non randomisées, non en double insu, donc sujettes à des biais importants en termes de lien de causalité (1), affichent des taux de douleurs et/ou faiblesse musculaire frisant les 20 %, ce qui amène un patient sur cinq à arrêter son traitement (2).
OBJECTIFS
Comparer les différences de taux d’effets indésirables observées entre le groupe atorvastatine 10 mg vs placebo dans l’essai randomisé en double insu ASCOT-LLA (3) à celles mesurées dans sa phase d’extension dans laquelle les patients n’étaient plus randomisés et savaient ce qu’ils prenaient (et leur médecin aussi).
MÉTHODE
Comparaison des différences observées sur quatre effets indésirables : troubles musculaires, érectiles, du sommeil et cognitifs dans la phase randomisée en double insu d’ASCOT-LLA à celles observées dans sa phase d’extension entre les patients initialement traités par atorvastatine et ceux n’en recevant pas. Au cours de la phase d’extension, l’évaluation des effets indésirables a été faite en insu du groupe initialement alloué au patient dans la phase randomisée. Les résultats sont présentés en taux absolus annuels dans chaque phase, puis en Hazard Ratio (HR) avec un intervalle de confiance à 95 %.
RÉSULTATS
La phase randomisée en double insu a inclus environ 5 000 patients par groupe suivis pendant 3,3 ans. La phase d’extension non randomisée en ouvert a inclus 6 409 patients prenant une statine et 3 490 n’en prenant pas suivis pendant 2,3 ans. Au début de ces deux phases, les caractéristiques des patients étaient comparables entre ceux qui prenaient une statine et ceux qui n’en prenaient pas.
→ Au cours de la phase randomisée en double insu, le taux annuel d’effets indésirables musculaires a été d’environ 2 % sans différence significative entre les groupes atorvastatine 10 mg et placebo :
HR = 1,03 ; IC95 % = 0,88 –1,21. En revanche, au cours de la phase d’extension, le taux annuel de cet effet indésirable était de 1,26 % dans le groupe statine vs 1 % dans le groupe non traité :
HR = 1,41 ; IC95 % = 1,10 –1,79, soit une augmentation significative de 40 % dans le groupe statine vs pas de traitement. Il n’y a pas eu de différence sur les autres effets indésirables entre les groupes traités et non traités dans les deux phases.
COMMENTAIRES
Les résultats conduisent les auteurs à conclure que lorsque les patients savent ce qu’ils prennent, la différence sur les effets musculaires est significative, en défaveur de la statine alors qu’elle ne l’est pas en double insu, ce qu’ils ont traduit par l’effet nocebo. Cependant, cette interprétation est sujette à caution, car il est impossible de savoir si ce résultat est lié au caractère ouvert de la phase d’extension ou à son absence de randomisation.
L’effet nocebo a été bien plus solidement démontré dans la phase A de l’essai GAUSS-3 (4). Les auteurs ont d’abord sélectionné 491 patients intolérants musculaires à trois statines différentes à faible dose. Puis, ils les ont randomisés en double insu entre un groupe atorvastatine 20 mg ou placebo pendant 10 semaines. Dans un second temps, toujours en double insu, ceux ayant reçu de l’atorvastatine ont reçu un placebo pendant 10 semaines (après 2 semaines de washout) et inversement (cross over). À l’issue de ces deux phases, 42,6 % des patients ont rapporté des symptômes musculaires sous statine et PAS sous placebo. Cela veut dire que 57,4 % des patients ont eu des réponses incohérentes : 26,5 % ont eu des symptômes sous placebo et PAS sous statine, 17,3 % n’ont PAS eu de symptôme sous statine NI sous placebo, et 9,8 % ont rapporté des symptômes sous statine ET sous placebo, ce qui laisse songeur.
→ En pratique, que faire chez un patient qui se plaint de douleurs ou de faiblesse musculaires sous statine ? Tout d’abord s’assurer de l’absence de substrat biologique de la plainte (CPK < 5N). Ensuite réévaluer le ratio bénéfice/risque clinique attendu de la statine qui n’est pas le même en prévention secondaire ou en prévention primaire à bas risque. S’il reste favorable, réduire la dose de statine ou proposer une administration un jour sur deux, ou changer de statine à dose équipotente ou plus faible. Dans tous les cas, partager la décision avec le patient en s’appuyant sur les données de la science et en lui expliquant loyalement et simplement ce qui est attendu de ce traitement au long cours, sachant qu’il n’en verra jamais le bénéfice puisque, par définition, le bénéfice est qu’un évènement CV ne survienne pas.
LIENS D'INTERÊTS : Aucun.
Bibliographie
1- Collins R, Reith C, Emberson J et al. Interpretation of the evidence for the efficacy and safety of statin therapy. Lancet 2016;388:2532-61.
2- Abramson JD, Rosenberg HG, Jewell N, Wright JM. Should people at low risk of cardiovascular disease take a statin? BMJ 2013;347:f6123.
3- Sever PS, Dahlof B, Poulter NR et al, for the ASCOT investigators. Prevention of coronary and stroke events with atorvastatin in hypertensive patients who have average or lower-than-average cholesterol concentrations in the Anglo-Scandinavian Cardiac Outcomes Trial Lipid Lowering Arm: a multicenter randomized controlled trial. Lancet 2003;361:1149-58.
4- Nissen SE, Stroes E, Dent-Acosta RE et al. Efficacy and tolerability of evolocumab vs ezetimibe in patients with muscle-related statin intolerance. JAMA 2016;315:1580-90.
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