« AUJOURD’HUI, regardez, nous avons un lit inoccupé, ce n’est pas si fréquent dans le service ! Notre taux d’occupation varie entre 95 et 100 % », commente le Pr Bernard Régnier, chef de la réanimation médicale et infectieuse de Bichat-Claude Bernard. Ici comme ailleurs, la rationalisation de l’offre de soins a fait son uvre, qui a réduit le nombre des lits (lire encadré). Autour des 19 autres chambres où clignotent les voyants verts et rouges des scopes, respirateurs et autres ECMO (oxygénateurs extracorporels), c’est l’effervescence habituelle des blouses blanches et des tuniques vert d’eau. À la manuvre, 100 paramédicaux, 60 infirmières et 40 aides-soignantes, 15 médecins, seniors et juniors, 5 externes.
« Nous vivons l’enfer au quotidien, résume, avec un fin sourire, Michel Pairault, cadre supérieur santé, le surveillant général depuis 17 ans. C’est dire, reconnaît-il, qu’il est amateur d’adrénaline : « Les équipes aiment ce rythme, cette tension permanente sur les horaires qui use physiquement et nerveusement, provoquant beaucoup de troubles musculo-squelettiques ». Le turn-over est plus important qu’ailleurs. L’absentéisme, cependant, en moyenne à 10 %, n’est pas plus élevé. Mais en période pandémique il pourrait friser les 25 à 30 %. Non seulement les équipes travaillent en temps normal à haut régime, mais l’hiver qui s’annonce pandémique devrait voir leurs effectifs restreints. Qu’à cela ne tienne, le plan national d’organisation des soins, dans sa fiche 4.4 sur l’organisation des soins, ne souffre pas de discussion : « Les capacités d’hospitalisation en réanimation doivent pouvoir être doublées, (...) le redéploiement de lits de réanimation nécessaires jusqu’au doublement des capacités doit être anticipé. »
« Somme toute, les scénarios pandémiques catastrophes sont nos outils de planification, constate le Pr Régnier. 1 à 2 % des cas cliniques pourraient être hospitalisés et 10 à 25 % d’entre eux admis en réanimation. »
Bichat, l’un des trois hôpitaux référents COREB (coordination risques épidémiologiques et biologiques) de la zone de défense d’Ile-de-France (avec La Pitié-Salpêtrière et Necker), héritier de l’hôpital des contagieux installé au XIX e siècle dans le fortin d’Aubervilliers, anticipe le pire depuis 2006 (plan grippe aviaire) ; c’est la réanimation médicale et infectieuse qui a pris en charge, le 27 avril, la première patiente suspecte de grippe A(H1N1) en France. Depuis, 147 cas ont été hospitalisés ici, dont 31 ont été confirmés et quinze furent admis en réanimation. L’une des patientes était toujours dans le service la semaine dernière, avec un pronostic réservé.
Avec un service entièrement remis à neuf en 2002, « nous avons des chambres qui peuvent accueillir un deuxième lit, équipées des branchements nécessaires des consommables (oxygène, air médical,) et des moyens de monitorage, se félicite M. Pairault. Ce n’est malheureusement pas le cas partout ! » Pour les équipements minimums, respirateur, seringues électriques, systèmes d’aspiration, tout devrait être aussi paré, estime le Pr Régnier. De même, les stocks (Tamiflu et masques) sont pourvus. Tout au plus les soignants s’interrogent-ils sur la nécessité d’utiliser les modèles FFP2, beaucoup plus inconfortables que les modèles dits chirurgicaux.
Réorganisation du travail en binôme.
C’est pour la mise à niveau du personnel que le doublement ne va pas de soi. « Avant de parler quantitatif, notre priorité, souligne le Pr Régnier, il faut assurer une prise en charge optimale des malades. Des malades différents de ceux qui sont traités pour les suites de grippe saisonnière, plus jeunes, avec des tableaux de SDRA (syndrome de déficience respiratoire aiguë), ou d’autres formes cliniques qui pourraient varier fortement d’un patient à l’autre. »
Depuis avril, des séances de formation sont organisées sous la responsabilité du Pr Elisabeth Bouvet (Médecine infectieuse). Vivement conseillées, mais non obligatoires, au rythme de quatre séances hebdomadaires, elles s’articulent autour de trois volets : épidémiologique, clinique et plan de protection pour le personnel. « Début septembre, assure Bertrand Le Corre, cadre infirmier, gestionnaire des risques à la direction qualité de Bichat, l’ensemble du service a été formé, ainsi qu’une bonne partie des renforts ». Car il s’est agi de prospecter des paramédicaux et des médicaux auprès des services d’anesthésie, cardiologie, pneumologie, et autres les aides soignants, infirmières et médecins qui maîtrisent déjà les gestes techniques de la réanimation. « Depuis trois ans, nous avons procédé au recensement des soignants qui peuvent rejoindre la réanimation du fait de la déprogrammation des interventions non urgentes, explique M. Le Corre. Mais il n’y a pas de solution miracle, on y gagne au mieux 10 % d’effectifs supplémentaires. C’est surtout la réorganisation du travail en binôme, qui devrait permettre de faire face, avec des équipes mixtes, personnel expérimenté personnel rappelé ou redéployé. »
Aucun gain de productivité n’est à espérer. On estime même qu’il faudra prévoir une infirmière pour deux malades (au lieu de deux malades et demi, en moyenne, en période normale).
Alors, l’objectif du doublement sera-t-il tenu ? Pour le Dr Bruno Mourvillier, dans le service depuis 5 ans, « il serait plus réaliste de tabler sur une hausse de 50 % de l’activité. C’est déjà un sacré défi. À ce régime, il faudra pouvoir tenir plusieurs semaines, peut-être même plusieurs mois. Il faut s’attendre à des amplitudes de 12 heures de travail quotidien pour les soignants. » Tiendront-ils ? « Nous ne pouvons pas ne pas le faire, estime le PH, qui se déclare confiant dans les capacités d’adaptation et de mobilisation d’équipes supermotivées. La réa, c’est le métier que nous avons choisi. Sinon, nous ne serions pas là. » Les horloges des comptes épargne-temps devraient s’arrêter pendant la pandémie.
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