LE QUOTIDIEN : La CSMF a jugé « inique et inacceptable » le plan d’économies de 10 milliards d’euros sur l’assurance-maladie. Pourquoi ?
DR JEAN-PAUL ORTIZ : Les objectifs qui sont fixés, à savoir le développement de la chirurgie ambulatoire ou le « recentrage » de l’hôpital, c’est ce que réclame la CSMF depuis longtemps ! Il faut « déshospitaliser » le pays. Les médecins libéraux sont prêts à prendre toute leur place pour éviter des hospitalisations inutiles de patients âgés ou polypathologiques. Mais ils ne pourront assumer cette activité et ce rôle que si on leur donne les moyens organisationnels et tarifaires, ce qui n’est pas le cas.
Quand on analyse ce plan d’économies qui réclame à nouveau des efforts conséquents à la médecine de ville, sur les actes et les prescriptions, on ne peut pas être d’accord… Il y a une incohérence totale de Marisol Touraine entre l’affichage d’un virage ambulatoire et l’absence de moyens donnés, pour l’instant, à la ville pour qu’elle prenne toute sa place. Ne jouons pas avec les mots : il faut organiser des transferts de budget de l’hôpital vers la ville. Le plan d’économies fait l’inverse !
La CSMF parle de risque de médecine normative, de remise en cause de la liberté de prescription, de rationnement… Le propos n’est-il pas excessif ?
Non, c’est une crainte réelle. Lorsque Marisol Touraine parle explicitement de listes de médicaments élaborés par les professionnels, on sait ce que c’est. Dans les établissements, on connaît les « livrets thérapeutiques » élaborés par les médecins dans le cadre des missions des CME en collaboration avec les pharmacies. Dans un établissement, où il est difficile d’avoir les 7 000 médicaments disponibles sur le marché, on peut concevoir qu’il y ait des produits préférentiels pour des pathologies ciblées. Mais la volonté de Marisol Touraine est d’étendre ce mécanisme à l’ensemble de l’activité de la médecine de ville. Le vrai danger de ces listes opposables, molécule par molécule, c’est la normalisation obligatoire de la prescription médicale, et la perte d’indépendance. Oui au développement dans l’exercice quotidien des bonnes pratiques, des démarches qualité, des conférences de consensus. Mais la CSMF refusera une prescription normée.
Avec ce plan d’économies, la ligne rouge est-elle franchie ? La CSMF entre-t-elle dans un mouvement de résistance ?
Je ne fais pas de procès d’intention vis-à-vis d’une politique ou d’une ministre. Aujourd’hui, j’analyse les choix du gouvernement au fur et à mesure des éléments qui sont dévoilés. Quand je vois des mesures contraires à la médecine libérale ou à la bonne pratique médicale, je le dis ! Je juge sur les faits. Pour l’instant, il y a une contradiction entre le discours sur la médecine de ville et les actes.
Dans ce contexte budgétaire extrêmement contraint, quelles sont vos priorités ?
Il y aura des étapes clés. Dans la traduction de la stratégie nationale de santé, la place de la médecine de ville devra être affirmée et reconnue avec force, car c’est une source d’économies et d’efficience. Pour cela, il faudra des moyens nouveaux et des signaux forts. Cela inclut la médecine de premier recours mais aussi les spécialistes libéraux de proximité.
Il y aura surtout dans quelques mois une bataille décisive, celle de l’ONDAM [objectif national de dépenses d’assurance-maladie]. On nous annonce un ONDAM général moyen de 2 % sur les trois prochaines années (2,1%, 2 % puis 1,9 %). Si c’est le cas, il faudra impérieusement un sous-objectif supérieur pour les « soins de ville » qui permette aux médecins libéraux de jouer leur plein rôle. La ville a massivement contribué aux économies et elle a sous-exécuté ses objectifs depuis trois ans. Ce n’est plus possible. Le gras n’est plus en médecine de ville, on attaque l’os !
La négociation interprofessionnelle qui commence sur les nouvelles rémunérations des équipes de soins est-elle une possible bouffée d’oxygène?
Nous serons très attentifs car la coordination libérale doit être valorisée. Pour l’instant, nous sommes dans la phase préliminaire. Cette négociation fait partie des dossiers qui traduiront, ou non, la volonté de soutenir vraiment le premier recours en ville. Y a-t-il du grain à moudre ? Je ne le sais pas encore.
En revanche, cette négociation « interpro » n’exonère pas les pouvoirs publics d’ouvrir cette année une négociation sur les honoraires des médecins, y compris sur l’acte de base. C’est une demande ferme de la CSMF et une condition du succès des réformes. Nous n’avons aucune réponse. Mais je suis quelqu’un d’obstiné.
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