À la sortie de la troisième vague de Covid, entre mai et juin 2021, une équipe de chercheurs de l'AP-HM, de la faculté des sciences médicales et paramédicales de Marseille et de la Fondation FondaMental de Créteil ont interrogé 10 000 soignants exerçant dans des établissements français sur leur état de santé mentale. Et leurs résultats sont alarmants. L’objectif de l'étude Amadeus, dont les premiers résultats viennent d’être publiés dans la revue de management paramédical : « Journal of nursing management » était d' « explorer l'influence de l'environnement de travail sur l'adaptation à l'emploi et la santé mentale des professionnels de santé à l'ère post-covid ».
Les premiers résultats, qui concernent près de 7 000 soignants (médecins, infirmiers, cadres de santé, directeurs de soins et aides-soignants), sont édifiants. Les taux de burn-out oscillent entre 45,2 % (chez les directeurs de services infirmiers) et 60,1 % (chez les infirmiers en chirurgie), contre 58,2 % pour les médecins (dont 10,1 % sont en burn-out sévère). Ceux-ci seraient de plus en plus nombreux à être en burn-out (49 % lors de la précédente méta-analyse en 2019). Si l’on regarde dans le détail l’épuisement professionnel des médecins toutes catégories confondues, la dimension la plus fréquemment évoquée est le manque d'accomplissement personnel (34,2 % des médecins), suivi de près par l'épuisement émotionnel (32,6 %) et la dépersonnalisation (30,1 %).
31,8 % des médecins en dépression
Autre résultat sans appel : la prévalence de la dépression est élevée pour toutes les catégories de soignants (environ 30 %, sauf chez les infirmiers et les cadres de santé), tandis que moins de 10 % d’entre eux sont traités par des antidépresseurs. Au total, 31,8 % des médecins seraient en dépression, 7,9 % consommeraient des antidépresseurs. Un chiffre en hausse et qui est environ trois fois plus élevé que dans la population générale française. L'écart important entre le taux de dépression et le taux de consommation d'antidépresseurs suggère « que de nombreux soignants ne reçoivent peut-être pas de soins adéquats pour leur dépression », observent les chercheurs.
L’étude montre également que près de 40 % des soignants ont été exposés au harcèlement moral par des supérieurs ou des collègues au travail, ceci au moins une fois dans leur carrière, chiffre qui s’élève à 36,4 % chez les médecins. Ceux-ci sont également victimes de harcèlement sexuel (11,1 %), un peu moins que les infirmiers en chirurgie (13,2 %). Globalement, les taux sont inférieurs à ceux rapportés chez les jeunes femmes médecins en France en 2017 (20 %) et chez l'ensemble des femmes actives en France en 2019 (26 %), notent les auteurs. Un phénomène qui s'expliquerait par un âge plus élevé de l’échantillon de l’étude, mais aussi par les effets du mouvement #MeToo qui ont participé à « augmenter la reconnaissance sociale du harcèlement sexuel ».
De nombreux soignants déclarent également avoir des difficultés à s'endormir (entre 31,4 % pour les médecins et 48,2 % pour les infirmières) et une mauvaise qualité de sommeil (36,9 % des médecins). D’autre part, la proportion de soignants déclarant dormir moins de cinq heures par nuit est plus élevée chez les infirmiers et les cadres de santé (plus de 20 %) que chez les médecins (12,3 %). À noter que ces derniers déclarent des taux de consommation d'alcool à risque beaucoup plus élevés que les autres catégories de soignants (26,7 %, contre 16,4 % des infirmiers).
À la lueur de ces résultats, « le déploiement de divers programmes de bien-être au travail dans les hôpitaux n'a pas suffi à enrayer l'épidémie de dépression et de troubles du sommeil chez les soignants », concluent les chercheurs. Ceux-ci ciblent en général les comportements à risque pour la santé (alimentation, manque de sport, etc.) qui ont « un effet de taille moyenne sur le burn-out et la santé mentale ». Par ailleurs, l'encouragement à faire de brèves siestes au travail est souvent absent de ces programmes, alors qu’il est prouvé que cela améliore la productivité et diminue l'épuisement professionnel.
Les pistes pour améliorer le bien-être au travail
Autres pistes avancées par les auteurs de l’étude : améliorer les compétences managériales des soignants (via des formations), renforcer la prévention du harcèlement moral, favoriser le soutien par les pairs tels que TRiM (gestion du risque de traumatisme), mais aussi développer des psychothérapies personnalisées (psychothérapie interpersonnelle ou thérapies de groupe)*.
Enfin, les chercheurs nuancent les résultats de l’étude en raison de la période particulière où elle a été réalisée. Mais ils ajoutent que « cela n’explique pas tout », car la troisième vague de Covid a été « plus légère que les deux premières », mais aussi parce que la plupart des études menées avant la crise sanitaire signalaient déjà « des taux croissants de pression au travail, de burn-out et de dépression chez les soignants ».
* Ces interventions ont été publiées dans un ouvrage destiné aux professionnels et au grand public. « Voyage au cœur de la souffrance : regards croisés du psychiatre et de l’avocate sur le burnout et le harcèlement professionnel » (éditions JC Lattès).
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