La pratique médicale devenant de plus en plus complexe, elle s’expose à la survenue d’événements indésirables qui peuvent impacter la qualité des soins. Toute équipe médicale doit s’interroger sur sa pratique et sur ses résultats. Parallèlement les usagers souhaitent avoir des informations sur le niveau de qualité des soins de l’établissement. Il est de notre devoir de les alerter sur la complexité de sa mesure. Le danger serait de proposer des évaluations inexactes qui auraient l’effet inverse recherché en jetant la suspicion.
La France, depuis plusieurs années, a mis en place des mesures visant à améliorer la qualité des soins comme la certification des établissements et l’accréditation des médecins par la Haute Autorité de Santé (HAS). Ces démarches ont permis des améliorations significatives sur la prescription des médicaments ou le dossier médical, par exemple. Pour chaque établissement cette procédure de certification est une contrainte importante qui l’oblige à améliorer son fonctionnement car les conclusions rendues par la HAS sont publiques. L’accréditation des activités à risque a obligé les praticiens à mieux se former, à respecter les recommandations professionnelles ou à mettre en place des réunions de morbi-mortalité. Ces différentes mesures sont-elles suffisantes en matière d’évaluation de la qualité des soins ? Celles disponibles en France apportent une réponse partielle à cette question.
Trois méthodes pour mesurer la qualité
Au cours des années 1960, Donabedian [1] a décrit avec précision les trois méthodes qui permettent de mesurer la qualité : l’évaluation des structures, les processus de soins et les résultats. La première dimension s’intéresse à la structure de l’établissement. À titre d’exemples, un ratio élevé d’infirmières, la présence de soins intensifs ou le haut niveau technologique de la structure réduisent significativement la mortalité hospitalière au cours de certains types de chirurgie [2].
La mesure des processus de soins évalue la conformité de la pratique médicale aux recommandations. C’est la mesure de la pertinence des soins, portée par notre ministre de la Santé. La démarche consiste à montrer que l’équipe médicale respecte les indications préconisées par les recommandations ou la bonne adéquation entre la maladie traitée et le traitement proposé. Dans le cadre de la procédure d’accréditation, cette dimension existe mais elle est purement déclarative. Le non-respect des recommandations entraîne la réalisation d’actes non justifiés comme le montre l’ablation de l’appendice pour laquelle des études ont rapporté l’hétérogénéité des pratiques.
La dernière dimension concerne les indicateurs de résultats qui n’ont jamais été évalués en France, de manière officielle tout du moins. Il est nécessaire de préciser ce que l’on entend par indicateurs de résultats. Le plus souvent, ils portent sur la sécurité des soins comme la mortalité ou la survenue de complications aux décours de la chirurgie, connus sous le terme anglais « failure to rescue » [2]. Certains pays le font pour la chirurgie cardiaque. Les équipes qui en ont l’expérience alertent sur la nécessité d’avoir des outils validés. L’utilisation des indicateurs de résultat est possible pour les activités de chirurgie ou toutes spécialités médicales qui réalisent des actes interventionnels comme la pose de stents en cardiologie car on peut mesurer la survenue d’une complication ou d’un décès évité. Pour d’autres spécialités médicales c’est beaucoup plus difficile.
Quel indicateur choisir ?
Nous avons réalisé une étude en France sur la chirurgie du cancer du poumon en utilisant comme indicateur la mortalité hospitalière [3]. Elle montre qu’il existe une grande hétérogénéité de résultats en France d’un centre à l’autre. Certains possédant un excès de mortalité par rapport à la référence nationale. Nous ne sommes pas là pour faire leur procès ; idéalement, la bonne démarche consisterait à leur fournir ces informations afin de mettre en place les mesures pour s’améliorer. Au final, cette démarche vertueuse participe à l’amélioration de la qualité des soins dans l’intérêt des patients.
La survenue du décès ou le nombre de décès évités, indicateur communément utilisé est tout à fait adapté pour certaines interventions en chirurgie cardiaque ou du cancer du poumon. À l’opposé, il ne l’est pas pour mesurer la qualité des équipes qui posent des prothèses de hanche. L’indicateur pertinent pour cette chirurgie pourrait être la réintervention pour retirer la prothèse. Ces exemples montrent que le choix du ou des indicateurs devra se faire avec l’aide des praticiens de la spécialité. Cela souligne un point fondamental : la mesure de la qualité ne pourra pas se décréter de manière verticale, l’association des professionnels de santé sera indispensable.
Un outil essentiel : la base de données
Dans notre travail, nous avons pu montrer que le taux brut de l’indicateur ne décrivait pas avec justesse la qualité des soins. Il faut aussi prendre en compte les caractéristiques des patients pris en charge.
Dans les différents articles consacrés à la mesure de la qualité, on oublie bien souvent de parler d’un outil essentiel : la base de données. Malheureusement peu sont disponibles en France, à l’instar d’autres pays comme la Hollande qui les a mis en place depuis plusieurs années. Idéalement, celle-ci devrait comprendre, non seulement les indicateurs, mais également les caractéristiques des patients, le ou les traitements appliqués, la gravité de la pathologie traitée. Un sous enregistrement des comorbidités ou des données manquantes vont produire des résultats totalement erronés.
Après avoir passé en revue les outils indispensables, il faut évoquer les méthodes que l’on peut utiliser pour mesurer la qualité des soins. La première consiste à classer les établissements ou équipes médicales selon le résultat de l’indicateur. Cette méthode est utilisée pour les centres de chirurgie cardiaque aux États-Unis [4]. Les résultats sont publiés sur le web en accès libre pour les patients.
En France, nous pensons que cette méthode risque de rencontrer des blocages du fait de nos pratiques. Les équipes médicales ne sont pas préparées à cette façon de procéder, tout du moins pour le moment. Il existe d’autres façons d’envisager la mesure de la qualité qui motivent les équipes à améliorer leur performance.
Une méthode intéressante consiste à utiliser un graphique où sont reportés les taux des indicateurs des différents centres français. Chaque centre peut ainsi se situer par rapport à la référence nationale ; et si l’un des centres est en dehors des limites, il est alerté et il peut mettre en place les actions pour améliorer la situation. Cette méthode ne classe pas les établissements, elle est utilisée actuellement par l’agence de biomédecine pour les centres qui réalisent des greffes. Nous croyons davantage à cette méthode qui impliquera les équipes médicales.
L’enjeu qui s’offre aux professionnels de santé est de mesurer non seulement la pertinence des soins mais également les résultats en matière de sécurité des thérapeutiques. La France a besoin de combler son retard. Pour réussir, les équipes médicales devront être partie prenante.
[1] Donabedian A. the quality of care. How can it be assessed? JAMA 1988; 260: 1743-1748
[2] Sheetz KH et al. Impact of hospital characteristics on failure to rescue following major surgery. Ann Surg 2016 ; 263 : 692-697.
[3] A.Bernard et al. Evaluation de la pratique chirurgicale du cancer bronchique en France à partir de la base nationale du PMSI. Rev Mal Resp 2018
[4] https://scts.org/hospitals/thoracic
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