Discuter à longueur de débats et de pétitions sur les résultats des soins offerts aux Français selon l’activité opératoire est peine perdue. Les données de la littérature sont assez éloquentes pour signifier qu’il existe un lien étroit entre la qualité des traitements offerts et la fréquence des prises en charge. Des méta-analyses étudiant la pertinence et l’efficacité des prestations servies montrent clairement un tel lien en chirurgie et en maternité que récusent bien évidemment les édiles et la population locale. On est mieux soigné, mieux dorloté dans les petites maternités que dans les « usines à bébés » clament-ils haut et fort en défilant sur la place du marché, moyennant quoi la France est mal classée en termes de décès maternel par hémorragie de la délivrance. Peu importe, on a accouché au « pays » c’est la faute à pas de chance !
Un rapport ministériel publié en 2008 proposait la fermeture de 120 blocs opératoires pour des raisons de sécurité et de qualité de soins. Depuis, rien n’a vraiment bougé sauf à la marge, on recule devant l’évidence au motif de la proximité et d’une pseudo égalité d’accès aux soins. Or, l’égalité ne se décrète pas par le lieu, mais par la seule compétence des soignants alliée à la fonctionnalité des matériels.
Le prétexte de la proximité
Deux explications se détachent pour imposer le regroupement des personnels et des matériels sur des plateaux interventionnels adaptés quitte à faire un peu plus de kilomètres pour y accéder :
1° Les équipes qui opèrent souvent acquièrent l’expérience des cas les plus difficiles et savent mieux gérer les complications qui peuvent survenir. Si tout le monde peut naviguer par vent faible sans courant sur un lac aux eaux plates, rares sont ceux à même de courir un Vendée Globe sans avoir accumulé des miles de navigation par gros temps. Refuser de se déplacer pour un acte chirurgical est un non-sens, quand les mêmes le font pour acheter moins cher un meuble chez Ikea.
2° Dans les établissements à faible production, le travail intérimaire en rapport avec la vacance des postes (entre 25 et 33 % selon les spécialités) s’ajoute au peu d’expérience des équipes, cumulant des risques évitables. Opérer avec des anesthésistes et des infirmières vacataires ne crée pas l’écosystème propice aux meilleurs soins. Se connaître, se faire confiance, anticiper passe par une pratique soutenue des mêmes acteurs ensemble. Quant aux chirurgiens, opérer dans un petit centre hospitalier à distance de leur lieu habituel de travail ne constitue pas la meilleure continuité des soins en cas de complication imprévue.
Au prétexte de la proximité on maintient dans notre pays plus d’une centaine de blocs opératoires qui devraient être transformés. Il ne s’agira pas de fermer les hôpitaux concernés mais de les réorienter vers d’autres débouchées indispensables dont nous manquons, comme les soins de suite et de réadaptation, les maisons de santé et de périnatalité ou les EHPADs. Aucun risque de chômage à l’horizon dans la mesure où l’expérience prouve que tous les hôpitaux qui ont fermé leur service de chirurgie et/ou leur maternité ont maintenu voire augmenté l’emploi dans leurs murs. Les personnels se sont reconvertis au prix d’une formation adéquate. S’en plaignent-ils ? Entendez-vous leurs lamentations ? Jamais. Parce qu’ils travaillent très bien et rendent autant si ce n’est plus de services, mais autrement. Paimpol est un bel exemple de cette reconversion après la fermeture de deux services : une nouvelle unité de rééducation cardiologique a remplacé les services de chirurgie et la maternité qui ont été regroupés avec Saint Brieuc à 45 km de là. Aucun mort en plus et des soins mieux adaptés et complémentaires dans chacun des établissements.
C'est le courage qui manque
En regardant l’éparpillement des centres de transplantation, dont au moins un dut fermer dans un CHU pour un nombre de décès dépassant les 55 % pour une activité minimale de 16 greffes de cœur en 16 mois, on mesure l’effort de restructuration à accomplir. Pourquoi 5 services parisiens font-ils encore des greffes d’organes ? Qu’attend-t-on pour concentrer l’expérience sur un ou deux centres ? À Lyon, la bataille fait rage pour empêcher le regroupement de deux unités de transplantation en une ! Les arguments les plus éculés sont utilisés, alors que sécurité ne rime en rien avec proximité.
Il faut analyser les données du PMSI, ajouter des critères d’évaluation pertinents et mesurer les risques encourus sans se voiler la face. Dans une étude réalisée en 2000, nous avions colligé 100 000 prostatectomies radicales pour cancer effectuées en France, tant dans les cliniques que dans les hôpitaux. Le constat fut édifiant : il y avait 3,5 fois plus de morts dans le séjour opératoire quand les équipes chirurgicales pratiquaient moins de 50 actes par an comparées à celles qui en faisaient plus de 150. Les chiffres et les statistiques sont imparables et devront nous servir de fil rouge pour réviser la carte hospitalière afin d’offrir les meilleures chances de guérison aux malades et blessés.
Du courage, encore du courage, rien que du courage, voilà ce qui manque. Des explications, de la pédagogie, un investissement en télétransmissions et transports rapides permettront de prendre le bon virage. Sinon, on continuera à assassiner légalement les plus vieux et les plus pauvres, souvent les moins avertis, quand les autres, bien informés, continueront à fuir l’hôpital le plus proche pour se rendre là où l’expérience est reconnue.
L’hôpital ne doit pas être la variable d’ajustement du taux de chômage dans une commune. Il est un lieu de soins hautement technologiques ou les équipes rassemblées agissent en commun contre la souffrance.
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