Des arrêts maladie massifs de soignants aux urgences de Thionville (Moselle) et de Pontoise, des manifestations devant les hôpitaux de Laval et de Creil samedi dernier. Les signes de la gravité du malaise se multiplient à l’hôpital depuis quelques semaines. « Les soignants en ont assez de faire grève en mettant un badge », observe le Dr Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf).
L’urgentiste craint « un effet boule de neige des arrêts de travail collectifs ». Après Thionville, ce sont en effet trois hôpitaux de Moselle (Sarreguemines, Forbach et St-Avold) qui ont emboîté le pas « par mimétisme », note le Dr Prudhomme. Selon lui, des groupes de soignants se formeraient actuellement sur Whatsapp ou Facebook pour dire : « quand est-ce qu’on y va ? Quand est-ce qu’on se met en arrêt maladie et qu’on bloque tout ? »
Après Thionville, arrêts de maladie en masse aux urgences de Sarreguemines, Forbach et St-Avold. L'épuisement du personnel est général et nous assistons à un effet domino en Moselle qui risque de s'étendre nationalement.
— Prudhomme Christophe (@PrudhommeChri10) January 5, 2023
C’est peut-être d’ailleurs ce qui s’est passé à Pontoise ce lundi : 90 % de l'effectif soignant des urgences adultes de l’établissement s’est déclaré en arrêt maladie. Les personnels concernés ont alerté sur le manque d'effectifs et de places dans leur service, mais aussi sur les tensions structurelles exacerbées par la triple épidémie (Covid-19, grippe et bronchiolite). Les soignants en arrêt ont également exigé l'activation immédiate du « plan blanc » pour libérer des lits et déprogrammer des opérations qualifiées de non urgentes.
Vingt heures d'attente
Faute de place suffisante, « les patients sont sur des brancards aux urgences, dans le couloir », a témoigné anonymement à l’AFP un soignant. Parfois, il y a plus de vingt heures d'attente aux urgences pour voir un médecin. « On est à bout, les collègues en ont marre », poursuit-il. Quant à Éric Boucharel, secrétaire départemental Unsa santé du Val-d'Oise, il estime que les soignants de l’établissement sont « tous dans un état psychologique déplorable » car ils doivent « venir bosser avec le risque de perdre un patient ».
À l’hôpital de Laval, plus de 200 personnes ont manifesté samedi dernier devant l’établissement pour « ne pas s'habituer à ce service de santé dégradé ». Contactée par « Le Quotidien », la Dr Caroline Brémaud, cheffe du service des urgences, précise qu’il manque « deux tiers des médecins pour faire fonctionner correctement le service ». Conséquence directe : les urgences sont fermées « six à dix nuits par mois » depuis novembre 2021. Seules les urgences vitales sont assurées les jours de fermeture. L’hôpital a même fait appel plusieurs fois à la réserve sanitaire pour avoir du renfort paramédical, selon l’urgentiste.
Selon elle, ce n’est pas la « bobologie » qui pose problème en termes d’organisation, « ce sont les patients que l’on doit hospitaliser ». Le 31 décembre, les urgences de Laval étaient tellement surchargées que « le dernier patient arrivé a trouvé un lit d’hospitalisation le 2 janvier à 17 h… ». Des délais de prise en charge jugés « énormes » par la Dr Brémaud qui admet que « cela peut devenir grave pour certains patients ».
Mobilisation des usagers
Pour changer la donne, l’urgentiste compte aujourd’hui sur la mobilisation des usagers. « Si cela ne vient pas de la population, cela ne marchera pas. Il faut sensibiliser les Français, pour leur dire "la balle est dans votre camp, c’est à vous de jouer. Les soignants ont essayé, mais ils n’en peuvent plus. Ils sont à terre" ». Des soignants qui avaient lancé un mouvement de grève en 2019. Or, quatre ans plus tard, les revendications sont les mêmes, déplore la cheffe des urgences de Laval.
Le personnel attendait « le fameux monde d’après, mais le changement n’est jamais arrivé », constate de son côté le Dr Loïc Pen, urgentiste au Groupe hospitalier public du sud de l'Oise (GHPSO). Samedi dernier, plus de 250 personnes ont manifesté devant l’un des deux sites du groupe, à Creil. Depuis plusieurs mois, le site de Senlis est fermé, tout comme le Smur de Senlis, ce qui entraîne des « retards de prise en charge et d’intervention », explique le médecin.
Sous-effectifs
La situation est devenue « extrêmement critique », poursuit le Dr Pen qui précise que l’on « ne peut plus hospitaliser les patients, faute de place, donc ils restent dans les couloirs ». Durant la période des fêtes, certains ont dû attendre 25 heures pour voir une infirmière. Il y avait aussi à la même période « régulièrement une quarantaine de patients hospitalisés dans les couloirs des urgences. Les pertes de chances sont évidentes dans un tel contexte », analyse le médecin.
La situation serait tellement « insupportable » que « les salariés discutent entre eux. Quand il y en a un qui s’arrête, les autres aussi, car personne ne veut travailler en sous-effectifs », dit le Dr Pen. C’est ainsi que le service s’est parfois retrouvé avec « trois infirmières au lieu de dix».
Pour le médecin, les arrêts maladie massifs de soignants aux urgences de Thionville ou de Pontoise sont le symptôme d’un malaise profond à l’hôpital car « il n’y a pas de solutions collectives visibles pour les soignants ». Les manifestations et les grèves « n’ont pas fonctionné, donc les gens se sauvent individuellement ». Et de citer Simone de Beauvoir : « Ce qu'il y a de plus scandaleux dans le scandale, c'est qu'on s'y habitue. »
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