« Déjà cinq promotions d’étudiants ont été malmenées par la réforme Pass/L.AS », constate avec amertume le Pr Emmanuel Chazard, PU-PH en santé publique au CHU de Lille. Pour cet expert aux avant-postes de la formation initiale, la réforme de l’accès aux études de santé, qui a mis fin à l’ex-PACES et au numerus clausus, a manqué ses objectifs et continue de rallier de nouveaux opposants.
Depuis l’entrée en vigueur des nouvelles filières en 2020, le Pr Chazard, également professeur de biostatistiques et d’informatique à la faculté de médecine de Lille, en première et deuxième année, a pu observer de près les « dérives » de cette refonte, perceptibles selon lui dès la sélection des candidats sur Parcoursup. « Le système de stratification par “mineure”, instauré par la réforme, a engendré une sélection injuste, déplore-t-il. Chaque année, de bons lycéens sont écartés simplement parce qu’ils ont choisi des mineures très demandées et rapidement saturées (en quelques centaines de places). À l’inverse, des candidats moins performants sont admis grâce à des mineures moins convoitées. »
Pour anticiper ces biais de sélection, certains « bons bacheliers » optent dès le départ pour des mineures peu demandées, comme le droit, afin de s'assurer une place en première année. « Mais dans cette licence, la charge de cours est bien plus lourde que dans d'autres filières. Le problème, c'est qu'avec ce système, même si les étudiants obtiennent d'excellentes notes dans leur majeure santé, ils ne peuvent pas accéder à la deuxième année s'ils n’obtiennent pas la moyenne dans leur mineure », regrette le Pr Chazard.
Des étudiants L.AS en grave difficulté
Ce système opaque « génère de l'anxiété et un sentiment légitime d'injustice chez les lycéens », explique l'enseignant-chercheur, co-auteur, avec le Dr Camille Androvic, médecin généraliste, d'une étude d’évaluation sur les effets de la réforme Pass-L.AS. Cette étude met notamment en évidence les écarts de niveau entre les étudiants issus du PASS (parcours d’accès spécifique santé) et ceux venant des L.AS (licences avec option accès santé).
« On constate que certains étudiants de L.AS sont très en deçà du niveau requis et se retrouvent en difficulté une fois en deuxième année, faute de bases théoriques et de méthode de travail, souligne le Pr Emmanuel Chazard. « Malgré les rappels de cours qui empiètent sur le volume horaire initial, le retard reste difficile à combler, ce qui impacte leurs résultats. Cela se traduit par un nombre important d'abandons ou de redoublements en deuxième année (…) et, à terme, par une diminution du nombre d'étudiants accédant au troisième cycle. »
Les anciens L.AS sont jugés moins méritants, pour eux cette situation est inhumaine
Pr Emmanuel Chazard
Bilan des courses ? « Pour ceux qui parviennent à passer aux années supérieures, le parcours est en moyenne… rallongé alors que la réforme promettait un raccourcissement statistique de la durée de la formation. Au final, la suppression apparente du numerus clausus s’accompagnera probablement d’une diminution du nombre de médecins formés », avancent les auteurs, à rebours des objectifs initiaux.
Un autre effet pervers de la réforme est l’émergence d’un clivage au sein d’une même promotion de deuxième année. « Les anciens Pass n’oublient pas leurs anciens condisciples tombés en chemin et sont parfois très peu indulgents envers les anciens L.AS, jugés moins méritants. Pour ces ex-L.AS, la situation est inhumaine », souligne l’enseignant, qui constate une chute de leur présence en amphi, en seulement quelques semaines.
L’oral instauré par la réforme met en place une sélection sociale qui n’existait pas
Sur la question de la diversification des profils, la réforme n’a, là encore, pas tenu ses promesses, estime le Pr Chazard. « Notre étude montre qu’il n’y a pas de différence significative entre les anciens L.AS et les anciens Pass en termes de proportion d’enfants de médecins ou de boursiers », souligne-t-il.
Quant à la diversité des parcours académiques, il constate que « les étudiants issus des deux voies présentent en réalité des profils disciplinaires très similaires ». « Et l’oral instauré par la réforme met en place une sélection sociale qui n’existait pas jusqu’alors », ajoute-t-il.
Autre effet inattendu de ce big bang : la surcharge administrative qui pèse sur les services de scolarité, débordés par l’accumulation des réformes. « Malgré les moyens importants investis dans la mise en place de la Pass/L.AS, les personnels de scolarité sont les victimes collatérales de cette réforme, avec une augmentation des burn-out, des arrêts maladie et des démissions », énumère encore le PU-PH.
Seul bénéfice observé ? La possibilité de décrocher un « Bac+3 » sans redoublement en cas d’échec dans les études de santé, ce qui limite le gâchis humain du système précédent. « Un avantage à relativiser tout de même puisque ces licences n’offrent aucun débouché », tempère l’enseignant.
Plus d’autonomie aux universités
Pour un système plus équitable et en phase avec les réalités du terrain, le Pr Chazard défend l’idée d’une autonomie accrue des universités, permettant de concevoir des parcours de formation adaptés aux besoins locaux. « Selon moi, le modèle idéal serait que chaque filière (de santé) gère de manière autonome sa première et sa deuxième année. Cela permettrait à chaque université d’adapter son enseignement aux exigences spécifiques de sa discipline. Il faudrait que chaque filière – médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique — dispose d’une première et d’une deuxième année et puisse la gérer de manière indépendante. »
L’enseignant en biostatistiques suggère également une fluidité accrue entre les formations, laissant aux établissements la possibilité d’accueillir des étudiants qui ont échoué de peu ailleurs. « Chaque faculté pourrait décider d’accepter en deuxième année – ou permettre de redoubler en première année – des étudiants qui n’ont pas “réussi” mais qui ont obtenu plus de 10 de moyenne, par exemple. » Cette gestion locale souple pourrait, selon lui, éviter l’effet de « nivellement par le bas » observé avec la réforme actuelle, qui contraint les enseignants à diminuer leurs exigences pour intégrer suffisamment d’étudiants issus de L.AS.
En tout état de cause, une nouvelle réforme devrait s’appuyer sur l’expertise des facultés et non sur des décisions éloignées du terrain. « Le système actuel est mauvais, en tout cas il n’est pas bon partout. Il faut sortir de cette vision jacobine que deux ou trois politiciens ont voulu imposer en pensant que ce système allait marcher de la même façon partout. Finalement, qui connaît mieux une faculté que des personnes qui y travaillent déjà ? », interroge le PU-PH. Et d’ajouter : « Les formations en santé doivent pouvoir simplement s’organiser elles-mêmes, en tenant compte des besoins de la population. L’expertise se trouve dans nos facultés et nos Ordres professionnels ! »
De nombreuses voix s’élèvent ces derniers mois pour réclamer du changement. Dans un rapport sévère publié en décembre, la Cour des comptes appelait à une simplification de la réforme Pass/L.AS, estimant que le « statu quo n’était plus possible ». L’institution préconisait la création d'une voie unique d'accès aux études de santé après le baccalauréat, et ce dès la rentrée 2026. Les syndicats d’étudiants en santé ont dénoncé eux aussi les dysfonctionnements et la complexité du système actuel, plaidant pour la création d’une voie d’accès commune et unique (tout en excluant un retour à la Paces).
De son côté, le gouvernement a entamé une réflexion pour proposer des aménagements à la réforme.
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