Les bêta-bloquants ont beau être de « vieux » médicaments, leur prescription pose encore beaucoup de questions, comme cela a été a souligné lors du récent congrès du Collège national des cadiologues français (Marseille, 18-20 octobre). Avec en pratique de nombreux patients sous-traités ou sous-dosés.
Avec une diminution significative des hospitalisations et surtout de la mortalité (-32 %), les bêta-bloquants constituent vraisemblablement une des thérapeutiques les plus efficaces dans l’insuffisance cardiaque (IC), même s’ils ont été contre-indiqués pendant un certain nombre d’années. Les recommandations les placent en première ligne avec les IEC dans la prise en charge de l’IC avec fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) altérée, mais pas plus que les autres molécules, ils n’ont fait leurs preuves dans l’IC à FEVG préservée.
Efficacité et tolérance : une variabilité inter-individuelle
Aucune différence d’efficacité sur la mortalité n’a jamais été mise en évidence entre les différentes molécules. Par contre, tous les patients ne relèvent pas de n’importe quel bêta-bloquant, leurs potentiels effets délétères variant en fonction de leur sélectivité vis-à-vis des différents récepteurs. Selon le profil du patient (âge, bronchospasme, artériopathie, dysfonction érectile, syndrome de Raynaud… etc.), on s’orientera plutôt vers un bêta-bloqueur ß-1 sélectif dont l’action prédomine au niveau cardiaque, qui peut être non vasodilatateur comme le métroprolol ou le bisoprolol, ou vasodilatateur via la production de NO comme le nebivolol, ou un ß-1 non sélectif vasodilatateur comme le carvedilol.
Par ailleurs, tous les individus ne sont pas égaux devant la réponse aux bêta-bloquants. Il existe une variabilité génétique au niveau des récepteurs qui pourrait rendre compte des différences inter-individuelles dans l’efficacité des bêta-bloquants ou la survenue d’effets secondaires. De ce fait, si un bêta-bloquant n’est pas efficace ou mal toléré, on peut en essayer un autre. Dans 80 % des cas, les patients intolérants à un bêta-bloquant sont traités avec succès après substitution.
L’important c’est la dose
La question s’est posée de savoir quel objectif viser, entre la fréquence cardiaque (FC) ou la dose, dans l’IC avec les bêta-bloquants. Une étude de 2016 a clairement montré que la baisse de la mortalité est corrélée à la dose et non à la FC, même si celle-ci reste un élément de la surveillance. Mais lorsqu’on compare les doses utilisées dans les essais cliniques et les registres, on constate que dans la vraie vie on n’atteint jamais la posologie optimale recommandée. « Nous sommes tous vraisemblablement un peu frileux lorsqu’il s’agit de les prescrire ou d’augmenter les doses chez les patients les plus âgés ou ayant des comorbidités importantes. Alors que ce sont eux les plus à risque et ceux qui bénéficieraient le plus d’un blocage du SN sympathique », insiste le Dr Olivier Lairez (CHU de Toulouse).
Pour optimiser les doses, il est conseillé de prescrire des bêta-bloquants dès que le patient est stabilisé et d’effectuer la titration rapidement. Or, dans l’immense majorité des cas, il n’y a pas de titration après la sortie d’une hospitalisation (seulement 17,5 % pour le carvedilol et 7,9 % pour le métoprolol atteignent la dose optimale entre 60 et 90 jours après leur sortie). En pratique, en dehors des réelles contre-indications (choc cardiogénique, bradycardie symptomatique, BAV 2 ou 3), on introduit le bêta-bloquant choisi selon le profil du patient en essayant d’augmenter les doses toutes les deux semaines avec une surveillance rapprochée. En cas d’intolérance, on switche pour un autre bêta-bloquant. La tolérance cardiovasculaire peut être améliorée par d’autres stratégies : diminuer les diurétiques ou les anti-aldostérones en cas d’hypovolémie, réduire les autres bloqueurs du nœud auriculo-ventriculaire ou les bloqueurs des canaux calciques. Si la FEVG est <35, que le rythme est sinusal et la FC>70 %, on peut envisager la prescription d’ivabradine.
Une efficacité « gommée » en cas de FA
FA et IC sont souvent associés, constituant une combinaison particulièrement délétère. Or, selon une méta-analyse de 2014, les bêta-bloquants n’améliorent ni les hospitalisations ni la survie en cas de FA associée à l’IC, comme s’ils perdaient de leur efficacité dans ce cas. Il existe une corrélation dans l’IC entre fréquence cardiaque et pronostic chez les patients en rythme sinusal qu’on ne retrouve pas en cas de FA ; les complications dépendraient donc vraisemblablement d’autres facteurs que la FC dans cette situation. « Même si le bénéfice n’a pas été clairement démontré, on prescrit des bêta-bloquants dans l’IC avec FA, ne serait-ce que pour son effet symptomatique et de son rôle préventif sur l’apparition de la FA », reconnaît le Pr Guillaume Jondeau (Hôpital Bichat). Toutes les méta-analyses montrent en effet que les bêta-bloquants évitent la survenue d’une FA ou de ses récidives en cas d’IC.
BPCO et ß-bloquants font plutôt bon ménage
La crainte d’une mauvaise tolérance respiratoire entraîne une nette sous-prescription des bêta-bloquants en cas de BPCO, mais entre en jeu certainement aussi le fait que ces dernières sont souvent associées à des IC à FEVG conservée. Pourtant, les bêta-bloquants ont prouvé leur efficacité à réduire la mortalité sur ce terrain (HR = 0,72) mais aussi les exacerbations de BPCO (HR = 0,63), vraisemblablement par un effet anti-inflammatoire et/ou bronchoprotecteur. Les recommandations de 2016 préconisaient l’utilisation d’un bêta-bloquant sélectif. En effet, le métoprolol et le bisoprolol ont montré une augmentation du VEMS par rapport au carvédilol. « En pratique, il faut débuter à faibles doses et surveiller étroitement la survenue de signes d’obstruction des voies aériennes », rappelle le Dr Joel Dagorn (CH Bourgoin-Jallieu).
Le tabagisme, facteur de diabète
Selon le Surgeon General’s Report 2014, il existe une relation de cause à effet entre diabète de type 2 et tabagisme ; ce dernier étant associé à une augmentation du risque de DT2 de 30 à 40 %, avec une corrélation entre la survenue d’un diabète et l’intensité et la durée du tabagisme. Chez le diabétique de type 2, mais aussi de type 1, le tabac majorerait la variabilité glycémique et limiterait le contrôle glycémique. à l’inverse, la prise de poids, fréquente à l’arrêt du tabac, augmente la glycémie à jeun et le risque de diabète – généralement réversible – chez les non diabétiques, « ce qui ne remet toutefois pas en question les bénéfices majeurs de l’arrêt du tabac », assure le Dr Ivan Berlin (La Pitié-Salpêtrière, Paris).