Comment les médecins font face

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Publié le 20/11/2020
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Maintenir les soins courants en étant efficaces contre l’épidémie

Le 7 avril dernier, il avait reçu la visite très commentée du président de la République dans sa maison de santé. Le Dr Yohan Saynac ne tient pas particulièrement à attirer de nouveau l’attention médiatique lors de la seconde vague. Il a d’autres objectifs. « Au printemps, il y a eu des ruptures de suivi, des suspicions de cancer non explorées dans des délais raisonnables…, se souvient-il. Le but est cette fois-ci de maintenir les soins courants tout en étant efficaces dans la gestion de l’épidémie. » Il estime qu’il sera aidé en cela par une meilleure connaissance de la maladie. « On était très ignorants des tableaux cliniques au début, alors qu’aujourd’hui nous sommes beaucoup plus à l’aise. » L’un des enjeux cruciaux, selon lui, sera le lien avec l’hôpital. « On essaie, dans le cadre de notre CPTS (communauté professionnelle territoriale de santé, ndlr), de se coordonner avec l’hôpital pour qu’ils nous appellent quand un patient sort, de façon à ce que les sorties se fassent de manière sécurisée », détaille le Pantinois.

Dr Yohan Saynac, Pantin (Seine-Saint-Denis)

Des horaires dédiés en fin de journée pour les cas suspects

Selon le Dr Sylvaine Le Liboux, beaucoup de choses ont changé par rapport à la première vague. « On avait peu de masques pour nous, on n’en avait pas pour les malades, on ne pouvait pas faire de tests, tous les paramédicaux sauf les infirmières avaient fermé leurs cabinets…, détaille la généraliste, qui est par ailleurs secrétaire générale des Généralistes-CSMF. Là on a des masques, les professionnels de santé travaillent, on peut tester tout le monde, c’est complètement différent. » D’ailleurs, signe caractéristique, le centre Covid qui avait été ouvert dans son secteur lors de la première vague n’a (pour l’instant) pas été remis en service. « On en avait ouvert un parce qu’on n’avait pas de protections, mais là, je ne vois pas vraiment l’intérêt, explique la généraliste. Maintenant, les gens qui entrent dans mon cabinet ont déjà leur masque, on a réduit le nombre de chaises en salle d’attente, on a des horaires dédiés en fin de journée pour les cas suspects… » Certains de ces aménagements, d’ailleurs, sont peut-être appelés à perdurer. « Il n’y a plus de journaux ni de jouets dans ma salle d’attente, et je crois que je vais avoir du mal à les remettre », avoue la généraliste.

Dr Sylvaine Le Liboux, Valençay (Indre)

On a des cas de contamination un peu idiots

Lors de la première vague, le Dr Jonathan Favre a co-fondé le collectif Stop Postillons, qui a fait avec une certaine efficacité la promotion du port du masque et de sa fabrication maison. Aujourd’hui, il mesure le chemin parcouru. « On voit encore des cas de mésusage, avec des patients qui portent mal le masque, mais c’est assez rare », remarque ce généraliste installé à Villeneuve-d’Ascq, dans le Nord. Reste que selon lui, lors de cette deuxième vague, tout n’est pas encore parfait. « On voit des cas de contamination un peu idiots, regrette-t-il. On a par exemple eu des patients fragiles qui se sont fait contaminer par des auxiliaires de vie qui ne portaient pas le masque à l’intérieur, ou des gens qui mettent le masque au travail, mais l’enlèvent pour manger à dix autour d’une table, et qui se sont contaminés ainsi. » Des leçons à retenir en vue d’une éventuelle troisième vague ?

Dr Jonathan Favre, Villeneuve-d’Ascq (Nord)

Je me suis équipée et suis parée à toute éventualité

Échaudée par le déroulement de l’épidémie au printemps, Claire Bigorgne a fait le plein d’équipements de protection. « J’ai profité de l’inter-confinement pour m’équiper et je suis parée à toute éventualité », explique-t-elle. Elle n’a pas seulement fait l’acquisition de masques. « C’est bien beau de nous donner des masques, mais face au coronavirus il faut être habillé comme à l’hôpital, et pour cela on a dû se débrouiller seuls », regrette-t-elle. Désormais, elle dispose de suffisamment de « tenues Covid », avec blouse lavée tous les soirs, tablier et charlotte, qu’elle sort dès qu’elle reçoit un cas suspect. Elle a aussi fait d’autres aménagements : suppression des créneaux sans rendez-vous (qui constituaient 80 % de son activité), téléconsultation (un outil qu’elle n’utilise que lorsque les circonstances l’y obligent)… Mais elle l’assure : « Si on se débarrasse du microbe, je reviendrai aussitôt à ce que je faisais avant. »

Dr Claire Bigorgne, Kermaria-Sulard (Côtes-d’Armor)

Il faut faire attention à nos patients, mais aussi à nous-mêmes

Le Dr Christian Le Corre vit cet automne une expérience totalement différente de celle qu’il avait vécue au printemps. « En avril-mai, je ne voyais que dix cas de coronavirus par mois, et je plaignais les pauvres Parisiens qui trinquaient, se souvient-il. Là, j’en ai plusieurs par jour, c’est énorme. Cela alimente une anxiété latente : il faut qu’on fasse attention à nos patients, mais aussi à nous-mêmes. » Il faut dire que ce généraliste a quelques raisons de ne pas être serein. « Je ne suis plus très jeune, et j’ai des problèmes de santé… », précise-t-il. Pour éviter que les patients ne se contaminent entre eux, ou qu’ils ne le contaminent, il a donc pris les mesures qui s’imposaient. « Je fais attention à la circulation des patients, et j’ai mis en place deux salles d’attente », indique-t-il. Il fait également désinfecter quotidiennement son cabinet par une société externe. « Ça me coûte cher, mais tant pis », sourit-il. Reste que derrière sa bonne humeur, Christian Le Corre cache une véritable angoisse. « On a beaucoup appris entre les deux vagues, mais on a surtout appris qu’on ne savait pas tout de cette maladie », souffle-t-il.

Dr Christian Le Corre, Chancelade (Dordogne)

Les soignants ne doivent compter que sur eux-mêmes

Lors de la première vague, le Dr Thomas Couturier avait vu très peu de cas de coronavirus. Cette fois-ci, c’est différent. « On n’en a jamais vu autant, cela reste gérable mais ça augmente très vite », explique le généraliste de Quimper. Loin de paniquer, il estime être armé pour faire face. « On a appris lors de la première vague que les soignants ne doivent compter que sur eux-mêmes, c’est ce que nous avons fait et c’est ce que nous allons faire », indique-t-il. Exemple avec les masques : « Nous avons fait en sorte, par nos propres moyens, d’en avoir en quantité suffisante », souligne-t-il. Mais compter sur soi-même ne veut pas dire rester seul. « Au sein de notre CPTS, nous avons pu développer des partenariats avec les infirmiers, biologistes, médecins coordinateurs des Ehpad », énumère le Breton, qui estime que ces collaborations sont d’une importance capitale lors de la seconde vague. « L’un des grands enseignements, dans ce contexte fluctuant, c’est que l’introspection individuelle mais aussi collective est essentielle, souligne-t-il. C’est unis, ensemble, qu’on arrivera à s’en sortir. »

Dr Thomas Couturier, Quimper (Finistère)


Source : lequotidiendumedecin.fr